Il y a près de 2000 ans, le monde romain ancien, prisonnier de la conception étroite de la "religion" qui était la sienne, a été totalement incapable de saisir la nature authentiquement religieuse du christianisme naissant, allant même jusqu'à accuser ses adeptes d'"irreligion" et d'"athéisme". D'une certaine manière, ce projet de recherche souhaite contribuer à ce que notre époque puisse éviter, si possible, une telle... erreur d'appréciation.
De manière plus précise, il entend jeter les bases théoriques et empiriques d'un Observatoire des nouveaux visages contemporains de la religion, structure souple consacrée à l'étude de ces phénomènes dans la culture actuelle. À cette fin, il vise à faire avancer la recherche sur les nouveaux visages contemporains de la religion. Précisons d'entrée de jeu qu'il ne s'agit pas ici ce que l'on appelle généralement les "nouvelles religions" ou les "nouveaux mouvements religieux", facilement repérables dans le paysage de la culture occidentale actuelle ("sectes" diverses, groupes d'inspiration orientale, courants du Nouvel Age, etc.) et qui ont déjà fait l'objet de recherches assez élaborées. On s'intéresse en fait plutôt ici à de nombreux domaines de la culture contemporaine (sport, politique, arts et spectacles, styles de vie, sexualité, consommation, publicité, cyberespace, phénomène des "gangs", univers des média, etc.). Ces sphères de la culture ne sont généralement pas considérés comme "religieuses". Pourtant, le fait est que l'on peut y repérer d'authentiques caractéristiques de la religion, fût-ce de manière diffuse, implicite et peu institutionnalisée.
Une telle hypothèse -- on l'aura pressenti -- renvoie à une conception de la religion plus vaste et plus englobante que celle qui nous vient en général spontanément à l'esprit. Elle s'enracine dans une conviction partagée par un nombre croissant de chercheurs en sciences humaines : non seulement la religion reste encore bien vivante dans ses formes plus historiques et traditionnelles (christianisme, judaïsme, islam, religions orientales, etc.), mais, contrairement à ce qu'ont pensé plusieurs analystes de la modernité occidentale, l'expérience religieuse (comme celle du sacré qui lui est intimement liée) ne disparaît pas avec les avancées de la civilisation moderne. Elle se déplace plutôt, dans une large mesure, vers des sphères de la vie sociale et culturelle où l'on était simplement pas habitué de la chercher.
C'est au repérage de ces nouveaux visages contemporains de la religion que cette recherche s'intéresse. Celle-ci s'inscrit, ce faisant, dans la mouvance de travaux réalisés depuis une trentaine d'années au Québec, au Canada, et ailleurs dans le monde, qui ont avancé des notions comme celles de religion "séculière", "invisible" ou "implicite". Elle s'inscrit également dans les préoccupations de recherche de son responsable depuis plus de vingt ans.
Pour ce faire, elle se propose d'investiguer avec rigueur un grand nombre de phénomènes contemporains, à partir des grands concepts élaborés par les sciences de la religion depuis plus d'un siècle: le sacré, le mythe, le rituel, etc.
Ce projet met à contribution une dizaine de jeunes chercheurs étudiants (de maîtrise et de doctorat) qui ont déjà fait leurs preuves dans le repérage de ces nouveaux visages contemporains de la religion.
Une recherche de ce genre est assurément susceptible d'enrichir à la fois notre compréhension du monde dans lequel nous vivons et notre connaissance de ce que devient vraiment la religion, au seuil de ce 3e millénaire. On aurait cependant tort d'y voir un pur intérêt théorique et spéculatif. S'il est vrai, en effet, qu'une dynamique proprement religieuse traverse un grands nombre de phénomènes apparemment "profanes" de notre temps, alors, on peut penser que c'est en prenant aussi en compte cet aspect de leur nature que l'on pourra y faire face de manière vraiment adéquate.