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ODEURS
bazar d'Orient
encens, cuir et coriandre,
ô fragrant délice
Addis-Abeba
si prenante, à l'aube,
au flanc du mont bleu, l'odeur
des eucalyptus
sa chambre de bonne,
tout au haut de l'escalier
qui pue l'encaustique
le kouglof, le punch,
les marrons grillant dans l'âtre,
Christkindelmärik...
été de Provence,
fleurant bon le romarin
ivre de lavande
je humais ton corps
comme une tasse de thé
à la cardamome
il flottait dans l'air
une effluve de Woodstock
-- mais sans patchouli
Presque robaïcapiteux jasmin
plus enivrant que le vin
-- ton corps
bel éphèbe
parfum de rentrée :
d'encre, de craie, de cahiers
et d'angoisses neuves
« Are you coming to
Scarborough Fair... Parsley, sage,
Rosemary and thyme... »
fils d'apocalypse,
j'aimais l'odeur du napalm
au petit matin
SONS
retenant leur souffle
en entendant le hocquet
des kalachnikovs
tamtamprélude d'été
sur la montagne magique,
après-mai des faunes
rage adolescente,
coulée dans le rock, noyée
dans les décibels
tel le bruit d'un ongle
rayant la surface d'un
verre dépoli
nuit de canicule,
sirènes en chaleur, chattes
feulant à la mort
j'aime le son du
latex que tu fais claquer
dans le noir lorsque...
VOIX
ondoyante plainte
des marins noyés au large,
baie des Trépassés
à en croire Hugo,
tout bruit écouté longtemps
devient une voix
ailée, ogivale,
montait la magie Tudor
des voix anglicanes
la forêt bruissait
de fées, d'elfes et de faunes;
Puck parlait à Pan
Gerry« Cette voix que j'ai,
cette voix, je vous la donne,
c,est tout ce que j'ai... »
alors un sourd dit:
«Parle-nous de la Voix.» Et,
bien sûr, il se tut...
IMAGES (en noir et blanc)
Gréco, matin blême,
devant un café crème à
Saint-Germain-des-Prés
noire déchirure
hurlant sur la toile blanche
d'un grand Borduas
sobre gris de l'aube,
avant l'orgie des couleurs
de cartes postales
vivre en noir et blanc
quand la mort, elle, s'habille
en technicolor?
noir sang huguenot
maculant ta nuit de noces,
trop blanche Margot
je suis noir mais beau,
frère inconnu -- mais jumeau --
de la Sulamite
amours postmodernes,
drague sur papier glacé,
flirt en noir et black
tel un échiquier
où gît, mat, le roi vaincu,
en deuil de sa reine
bandé noir sur blanc,
sans contraste et sans vergogne,
comme un Mapplethorpe
madone gothique,
aux sept piercings d'obsidienne
dans son coeur d'albâtre
AILLEURS
ivre d'îles bleues
envoûté par la musique
d'un vieux bouzouki
un ravier d'olives,
un pichet de retsina,
l'or mauve du soir
Hydra, soir de mai;
l'aède aveugle raconte;
les chats, eux, épient
longs cyprès étrusques
dans le ciel aigue-marine
de Fiesole
« pivo, sloboda! »
bière et liberté, Mostar,
pont de mort, Bosnie
je me suis perdu
une nuit, sur le pont Charles,
jadis, en Bohème
la lune dansait
entre les bulbes baroques
d'Oberammergau
folies de BavièreBerg, Hohenschwangau,
Herrenchimsee, Linderhof,
Neuschwanstein -- Ludwig!!
Struthof, camp nazimourir, là haut, dans
l'horreur de tant de beauté
que la neige en rage
joli gitan, dis:
prieras-tu pour un gadjo
aux Saintes-Maries?
leurs grands yeux si noirs
qu'on eût dit les anges des
fresques de Gondar
l'hyène ricane;
dans ses vieux murs, Harrar dort;
Rimbaud rôde encore
MAINS
tes mains, mon amour,
comme une bouche à dix langues
sur mon corps en feu
mains jointes, priantes,
de Dührer; mains-cathédrale
d'Auguste Rodin
la main de Fatma
au bout d'une chaîne d'or
sur son torse d'ambre
Quand il parle avec
ses mains, il a l'éloquence
d'un Italien bègue
Fetish Nightles mains menottées,
défaillant de volupté,
tous ses sens en laisse
SixtineEffleurant du sien
le doigt languide d'Adam,
Dieu prenait un risque
l'ombre d'Aphrodite
caressant le flanc bleu du
Pentadactylos
Longyang Junl'amant du roi Wei,
alangui sur le divan,
à un doigt du rêve
le spectre, muet,
pointait de la main à Scrooge
son nom sur sa tombe
elle avait la main
autarcique; ses doigts lui
tenaient lieu d'amants
NUIT
comme le jasmin
qui n'exhale son parfum
que la nuit venue
et même la lune,
émue, tend l'oreille au chant
de l'engoulevent
désir à l'affût,
sens dessus dessous, nuits fauves,
amours nyctalopes
nuit des morts-vivants,
peuplée de goules lugubres
et de korrigans
quand la nuit abdique,
le jour naît avec l'audace
du premier oiseau
comme un jeune pâtre
qui rêve à sa bien-aimée,
à la belle étoile
au mitan du lit,
quand les frontières s'estompent
entre les amants
las, blafards, exsangues
d'un trop-plein de vie, vampires,
hôtes de la nuit
à l'heure où les faons
vont boire -- à l'insu des fauves,
aux berges de l'aube
le Petit Prince à
l'allumeur de réverbères:
«N'éteins pas la nuit!»
AUTOMNE
longs lambeaux de brume
accrochés aux arbres nus,
ô fées diaphanes
magique saison
où même le Mont-Chauve a
l'air de Brocéliande
giclées d'or safran,
bronze bruissant, spasmes fauves,
grands râles porphyre
mai des antipodes,
saison dorée de Vénus,
narcissique octobre
mon coeur en exil,
comme l'été banni, comme
un voilier d'outardes
saison si sexy
des faunes en perfecto
dans leurs jeans troués
rue Logansur le terrain vague
bavardaient, mélancoliques,
trois grands peupliers
ceps au pis gonflé,
meuglant l'heure des vendanges
quand sonne septembre
rassasié d'été,
sur la fenêtre, oubliées,
meurent les pensées
rouges, les tuniques,
et les crocs des chiens, et le
poitrail du grand cerf
PLUIE
Skysi vous voyez l'île,
c'est qu'il va pleuvoir; sinon,
c'est qu'il pleut déjà!
pluies des hauts-plateaux
gonflant les crues du Nil Bleu
de terre abyssine
lascives ondées,
caressantes giboulées
ô larmes d'Éros
et la pluie tomba
pendant quarante longs jours;
Dieu créait l'Irlande
nuit des Perséides,
larmes de saint Laurent, pluie
de météorites
grotesques gargouilles
veillant sur Esmeralda
quand le Bossu pleure
mon coeur à l'étiage,
vide comme un oued avant
les grandes moussons
tendre et provocant
comme un matou de ruelle
transi de verglas
oasis de sel
sous les vantaux clos du ciel
- terre du Sahel
le chaman dansait;
le peuple, inquiet, suppliait;
le ciel se taisait
TEMPS
armé de patience
comme d'une mitraillette,
pour tuer le temps
l'univers ne craint
que le temps; et le temps, lui,
que les pyramides
il était du genre
« on se e-maile et on brunch »,
l'oeil sur sa Rolex
l'amour fait passer
le temps... Et le temps, cruel,
fait passer l'amour...
loin de nos enfances,
toutes urgences sarclées,
nous prendrons le temps
un temps pour aimer,
un temps pour s'en abstenir;
choisis, toi non plus...
avant le temps qui
n'était pas encore; avant
les dieux, avant toi
du temps, elle n'en
a plus guère et pourtant, elle
va si lentement
quand Bowman chantait,
le temps d'un Stabat Mater,
je croyais en Dieu
il tuait le temps
avec le génie de ceux
qui l'aiment mieux mort
VENT
entends-tu le vent
ressasser sa peine aux grands
ifs indifférents?
ô vent coquin qui
polissonne en soulevant
les jupes friponnes...
c'est contre le vent
-- et non dans le vent -- que les
cerfs-volants s'envolent
et le vent hurlait
à rendre Emily Brontë
bleue de jalousie
mistral en abscisse,
tramontane en ordonnée :
chez Maître Cornille
le vent s'engouffrait
dans le col de Rocevaux,
sonnant l'olifant
et tous les moulins
narguaient le chevalier à
la triste figure...
Kumbha Melala foule impatiente
qu'entrent dans le Gange ceux
qu'habille le vent
errant sur la lande,
le vent offrait au ciel un
air de cornemuse
l'harmattan jouait
un prélude en ré mineur
sur les grands euphorbes
CLÉS
il perçait les coeurs
comme un filou les coffres : au
pince-monseigneur
absurde brocante
de cadenas orphelins,
de clés sans serrures
au clair de la lune,
passe-moi ta clé, Pierrot,
j'y squatte et... c'est froid!
mon premier étreint;
mon second meurt dans le Rhin;
dans mon tout, le thème
Don Juan risible,
son charme se résumait
aux clés de sa Porsche
l'amour lui tenait
lieu de porte-bonheur au
bout d'un porte-clés
du tiroir secret
où j'enfermais mon bonheur,
j'ai perdu la clé
solo narcissique :
il parlait en moi dièse,
l'égo à la clé
et le sang restait
sur la clé de Barbe-Bleue,
rouge, indélébile
elle se livrait au plaisir
comme on livre une
Rolls-Royce : clés en main
comme tu as pris
la clé de mon coeur, je dors
sous le paillasson
CHATS
ça griffe, ça miaule,
ça se frôle, ça ronronne
-- on dirait un chat
une vraie maison...
sans chats? c'est possible mais...
comment le prouver?
comptine féline,
lullaby à douze pattes,
trois p'tits chats, chats, chats...
gargouille alanguie,
sphinx à l'affût, noire énigme,
tu dors? tu m'épies?
la queue se balance;
puis, une flèche velue
-- et des plumes rouges...
j'aime caresser
ta lascive indifférence;
mens-moi, sois mon chat
son corps, aux putains,
son âme à quelque dieu grec,
et sa langue -- au chat
du haut du beffroi,
jetés vivants dans les flammes,
sans savoir pourquoi
elle fait l'amour
appliquée comme une chatte
qui fait sa toilette
histoire zenet, dans les mains du
Bouddha mourant, ronronnait
un tout petit chat
un bol de lait bleu,
un brin de laine volé,
un vieux chagrin crème
DANSE
danse, bel ami,
danse encore, je t'en prie,
car voici la nuit
éphèbes de Sparte
offrant leur corps nu au rythme
des gymnopédies
Chasse-Galerieils vendaient leur âme
pour que leur corps danse, encore,
un vieux rigodon
lascives thyases
des bacchantes possédées
par Dionysos
faste d'airs anciens,
tristes comme l'amour, beaux
comme des chaconnes
la belle Andalouse
noyait ses amants d'un soir
dans le fandango
sabbat de satyres,
sarabande de sorcières,
salsa satanique
tambourins et fifres
conduisant la farandole
jusque sur le Pont
et Zorba dansait,
enivré d'ouzo, d'amour
et de sirtaki
nuit de Bahia,
quand Xango et Yemanja
hantent la samba
aussi triste qu'une
pavane pour un infant
aux amours défuntes
n'attends plus Ziggy,
ma belle, il ne viendra plus
danser -- lui non plus
REFRAINS
d'Athènes à Corfou,
d'exil rouge en espoir fou,
ta Grèce me blesse
sa pipe, ses putes,
sa lippe mal embouchée,
sa tendresse hirsute...
elle avait aimé
un artilleur de Mayence
mort à dix-sept ans
vaisseau d'or, abîme,
givre, guipure, cyprine:
pauvre Nelligan
quand on n'a que le
goût de n'être plus que l'ombre
d'un chien -- ou d'une ombre
bruines et crachins,
paquets d'embruns, trombes d'eau...
il pleuvait sur Nantes
« Synnefiasmeni
kiriaki... » Dimanche gris;
Athènes s'ennuie
sa tendresse avait
la pudeur surannée des
pianos mécaniques
n'oublie pas, ô mer,
que demain, peut-être, nous
nous séparerons
errant dans la ville,
ils usaient leurs Docs en quête
de petits bonheurs
vivre en ce pays,
quelque part entre l'hiver
et les cocotiers
je l'aimais... Alors,
je lui a raconté que
j'avais vu l'Irlande
FANTÄSIESTÜCKE
Op. 111quand, sourd déjà, dans
la dernière sonate, il
se met à jazzer...
au fond de la brousse,
l'averse jouait Chopin
sur un toit de zinc
humour fin de siècle,
comme une gnossienne flasque
en forme de poire
un choral s'éprit
d'une petite cantate;
la suite? une fugue...
quand le désespoir
a la pudique allégresse
de Don Giovanni
If Musicke be the
Food of Love... alors, mon coeur,
monte le volume...
D 960la main droite semble
se résigner mais la gauche,
grondant, se révolte
aussi rock'n roll
que la mort d'Isolde; aussi
rap que Parsifal
imaginer Sol
au pupître de Haydn :
Esterhazy... naire!
il la convoitait
sans le plus petit espoir:
elle aimait mieux Brahms...
PUNKS
l'oeil ourlé de khôl,
le sourcil cerclé d'acier,
le coeur tatoué
ils s'aiment parfois,
sans futur et sans reproche,
dans un squat miteux
leur mohawk dressé
dans la nuit hérissée de
leur rebelle errance
affalés aux Blocs,
se shootant, entre deux fix,
des amours destroy
le rimmel hagard
au retour trop vulnérable
d'un mauvais voyage
dévorant l'asphalte,
s'enivrant d'insouciance,
surfant l'air du temps
se casser la gueule
comme on risque une oeuvre d'art :
pour l'amour des prunes
Piccoloet son tatouage
au milieu du front, comme un
clin d'oeil à Shiva
d'estoc et de taille,
pourfendant la nuit de leurs
squeejees ironiques
on eût dit des princes
exilés de Saint-John Perse,
revus par Genêt
AMOURS
de l'amour allé,
du chrysanthème fané,
qui prendra le deuil?
comme un chat tigré
ronronnnant sous mes caresses;
comme toi, peut-être
ils s'étaient aimés
là-bas, en Pologne -- autant
dire nulle part
il traînait son spleen
de guinguette en maison close,
comme un corps en peine
et tous tes serments
emportés par l'Arno -- sott '
il Ponte Vecchio
légères amours,
nuit masquée de carnaval,
quai dai Schiavoni
Via Veneto...
le farniente, toi loin...
-- Quant ' è? Andiamo' !
sexe aligoté,
spasme de chair gouleyante,
fantasme A.O.C.
ses amours avaient
les frontières aussi floues
que le Labrador
désemparé comme
le ténor bedonnant qui
hurlait : Butterfly!
Roméo, qui sait,
las de Juliette, eût pu
s'enticher d'Isolde
Tous droits réservés -- Ex-Libris + / Guy Ménard 1998
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