La communauté gaie :
accomplissement - ou arraisonnement -
du désir homosexuel?

dans La radicalité du quotidien. Sous la direction de A. Corten et M.-B. Tahon, Montréal, VLB, 1987, 97-118. [Actes du colloque international «La radicalité du quotidien», Montréal, septembre 1987]


Résumé

Ce texte propose une lecture de la réalité contemporaine de l'homosexualité sur le fond de scène de cette question centrale de la communauté (entendue ici sur l'arrière-plan des travaux de Tönnies, Durkheim et M. Maffesoli). Le «cas» de la communauté gaie soulève d'emblée - et plus que d'autres - la question de l'identité (homosexuelle).

Cette «identité homosexuelle» s'est élaborée depuis un siècle à travers diverses conceptualisations de la psycho-sexologie («inversion», «fixation névrotique» et, plus récemment, «orientation sexuelle») aussi bien qu'à travers divers mouvements (politiques) de «libération» homosexuelle. L'émergence contemporaine de l'homosexualité gaie, comme celle - concomitante - de la communauté qui en est issue, s'est essentiellement axée sur le leitmotiv de la révélation du désir, de l'affirmation publique - à la fois fière et valorisée - de l'être-homosexuel.

Le «problème» c'est que cette communauté gaie-là est loin de «représenter» la totalité du «désir homosexuel» présent dans la culture actuelle. La majorité de nos contemporains qui sont habités ou traversés de manière significative par un désir homosexuel vivent en effet ce désir hors de toute référence spécifique à une «communauté gaie - voire à une «identité homosexuelle».

Cette constatation suggère une interprétation: au plan psycho-individuel aussi bien qu'aux plans social, culturel et politique, l'émergence de l'homosexualité gaie et de la communauté qui en a résulté pourrait bien illustrer cette figure heideggerienne de l'arraisonnement, i.e. d'un mode de dévoilement où l'être (l'individu et l'«être-ensemble») est sommé, mis en demeure de se dévoiler sous la seule figure de la raison. L'homosexualité masculine contemporaine aurait ainsi été largement «arraisonnée» à travers les conceptualisations de la raison scientifique (en particulier la psycho-sexologie contemporaine) et de la raison politique (sur le mode de la libération, à travers une «communauté» considérée comme «sujet» ou «porteur historique» de cette «libération»). Ce faisant, la communauté gaie se serait instaurée en occultant d'autres formes d'être-homosexuel et en érodant d'autres formes d'être-ensemble homosexuel (telles qu'on peut par exemple en apercevoir dans l'oeuvre de M. Tremblay) formes qui, par plusieurs côtés, correspondaient peut-être plus étroitement à l'idée même d'une «communauté» au sens privilégié ici.


 

De quelque manière qu'on l'aborde, la réalité de l'homosexualité soulève presque toujours la question du «lieu» à partir duquel on en parle. («Is there a Mrs Kinsey? » s'inquiétaient suspicieusement les bonnes âmes des années cinquante à propos de l'auteur de la célèbre enquête qui révéla à l'Amérique stupéfaite l'importance de ses comportements sexuels hétérodoxes...) Aussi bien, l'auteur de cette réflexion tient-il à préciser d'entrée de jeu que si le «lieu» actuel de son discours est plutôt celui de l'observation distanciée, il n'en a pas moins été de ceux qui, au Québec, ont contribué à faire émerger un mouvement de libération homosexuelle et une communauté gaie [1]. Et ce, à la fois à travers une participation active (et plus d'une fois fondatrice) à diverses organisations politiques et socio-culturelles de cette communauté comme à certains de ses médias, à travers des investissements de recherche plus universitaires, et surtout, peut-être, la publication d'un certain nombre d'ouvrages sur divers aspects de la question homosexuelle - à une époque où le Québec en comptait moins que les doigts d'une main... Ceci étant dit sans aucune forfanterie mais, en revanche, avec un souci précis: celui de signifier que la distance avec laquelle ce texte entend aborder la question de la communauté gaie relève de la nécessaire epochè du regard scientifique et non de quelque exotisme paternaliste ou - encore moins! - de quelque méprisante homophobie.

Ceci dit, ce texte entend proposer une lecture de la réalité contemporaine de l'homosexualité (en particulier - mais pas exclusivement - dans la société et la culture québécoises) sur le fond de scène des questions centrales de ce colloque, et notamment celle de la communauté. Il se limitera en revanche délibérément à la réalité de l'homosexualité masculine. Ce choix, inutile de le préciser, ne signifie évidemment pas que la réalité féminine de l'homosexualité soit dénuée d'intérêt ou d'importance, mais beaucoup plus simplement que l'auteur de ces pages n'a pas la prétention de pouvoir en parler avec compétence. Dernière précision préalable, qu'on voudrait également inutile: cette réflexion souhaite faire oeuvre de connaissance, pas de morale. Elle se propose de tenter de voir - et, peut-être, de comprendre un peu plus - ce qui est, non de proclamer ce qui «doit», ce qui «aurait dû», ou ce qui «devrait être»...

*

Communauté. «Communauté urbaine», «communauté religieuse», «communauté de biens», «communauté ethnique»; «centres locaux de services communautaires», «services - universitaires - à la communauté», sentences de «travaux communautaires»... La désespérante polysémie de ce terme commande de préciser le sens dans lequel on compte l'utiliser - sous peine de noyer le discours dans la plus totale confusion. On l'entendra ici sur l'arrière-plan de la célèbre distinction proposée par Tönnies (entre Gemeinschaft et Gesellschaft ) et, de manière plus précise, dans la mouvance des réflexions de Durkheim sur la solidarité, prolongées par certains courants de la sociologie contemporaine, notamment chez M. Maffesoli[2] (qui conserve, en en inversant toutefois le sens, les deux termes de la typologie durkheimienne: la communauté renverrait ainsi à une idée de solidarité organique, passionnelle et tensionnelle (Maffesoli propose d'utiliser en ce sens le terme socialité et l'adjectif sociétal ), inextricablement tissée de communion et de conflit, de cruauté et de tendresse, de vie et de mort. Présente dans les sociétés de type «traditionnel» (mais, aussi, perdurant dans bien des interstices des nôtres), cette solidarité «communautaire» se distingue assez radicalement du type de solidarité vers lequel ont évolué les sociétés occidentales modernes, notamment depuis ces tournants que furent la Renaissance, la Réforme et la Révolution française; solidarité à maints égards abstraite et rationnelle (le «contrat social» en serait un modèle éloquent), «mécanique», fondée sur les grands mythes de la Raison, du Progrès, de l'Homme-Citoyen (et de ses «droits inaliénables»), caractérisée par une hypertrophie croissante du rôle de l'État et, comme en inéluctable corollaire, par l'individualisme concomitant d'une société de plus en plus atomisée.

Ce type de solidarité, qui s'est progressivement implanté en Occident en érodant les formes plus organiques de solidarité traditionnelle, pourrait vraisemblablement trouver dans le téléphone un saisissant symbole: ce téléphone grâce auquel, selon la publicité, «la distance n'a plus d'importance», mais qui pourtant, avant de prétendre l'abolir, suppose cette distance, la creuse même, quitte à la combler partiellement, et d'une manière somme toute plutôt abstraite (la voix seule ne livrant évidemment pas toute la complexe richesse du corps à corps de la présence)[3]. Si la communauté comme concrétisation d'une solidarité organique, se passe fort bien du téléphone[4], c'est qu'elle renvoie à une incontournable idée de proximité, de proxémie, - tout en mettant par ailleurs en lumière la cruciale question de l'identité : nous savons bien par exemple que ni la beauté conjuguée des Rocheuses et du Cap-Breton, ni l'immensité prometteuse d'un marché à cheval entre deux océans, ni le rêve d'une féconde synergie entre les deux grandes cultures fondatrices de ce pays n'ont suffi pour conférer aux habitants de celui-ci une véritable et commune identité. Si la communauté, par essence tensionnelle et contradictorielle, implique bien un rapport à l'autre, elle suppose malgré tout, et tout aussi essentiellement, une certaine communauté d'identité sans laquelle elle se transforme en pure abstraction de l'esprit. Pire: en abus de langage.

Le «cas» de la communauté gaie est, à cet égard, passionnant. Mais on conçoit qu'il soulève lui aussi d'emblée - et plus même que d'autres, sans doute - la question de l'identité homosexuelle. Les «homosexuels», à l'évidence, ne forment pas une communauté historique, culturelle, raciale, ethnique ou territoriale. Quoi qu'en aient certains stéréotypes tenaces de notre culture, ils ne correspondent pas non plus à ce que le vocabulaire technocratique de notre époque appelle désormais des «minorités visibles». Problématique[5], la «commune identité» homosexuelle semblerait plutôt se fonder sur ce qu'on pourrait voir comme une commune identité de désir transcendant apparemment (du moins d'une certaine manière et jusqu'à un certain point) d'autres discriminants identitaires (race, classe, etc.). Et l'on s'empêche difficilement de songer ici aux célèbres pages de Proust décrivant Charlus et ses congénères comme «ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d'Israël, les caractères physiques et moraux d'une race (...)» «Dans cette vie d'un romantisme anachronique, poursuit significativement l'auteur du Temps perdu, l'ambassadeur est l'ami du forçat; le prince (...), en sortant de chez la duchesse, s'en va conférer avec l'apache (...)»[6] Communauté transcendante du désir: «La passion est tellement impérieuse pour les véritables adeptes de la pédérastie, constatait pour sa part un inspecteur de police parisien au milieu du siècle dernier, qu'elle amène, au point de vue social, les accouplements les plus monstrueux, le maître et son domestique, le voleur et l'homme sans casier judiciaire, le goujat en guenille et l'élégant s'acceptent comme s'ils appartenaient à la même classe de la société (...)»[7]

La question de l'identité homosexuelle, en quelque sorte préalable à celle de la communauté qui en émerge, soulève à vrai dire un prodigieux défi qui commanderait à lui seul une étude beaucoup plus longue. Il faudra néanmoins se permettre - et se contenter - d'indiquer fort rapidement ici un certain nombre de repères capitaux.

Étrangement, tout d'abord, et comme l'a bien mis en lumière M. Foucault[8], cette question d'une «identité homosexuelle» est relativement récente; elle est en fait apparue à travers les interrogations (pour ne pas dire les obsessions!) médico-légales du 19e siècle[9]. «La sodomie, propose en effet Foucault, - celle des anciens droits civil et canonique - était un type d'actes interdits, leur auteur n'en était que le sujet juridique. L'homosexuel du XIXe siècle est devenu un personnage : un passé, une histoire et une enfance, un caractère, une forme de vie (...) L'homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu'elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d'androgynie intérieure, un hemaphrodisme de l'âme. Le sodomite était un relaps, l'homosexuel est maintenant une espèce ».[10]

Cette «espèce», cette identité homosexuelle, plusieurs décennies de science et de militantisme - souvent d'ailleurs conjugués[11] - l'ont tout d'abord comprise à travers une perspective centrée sur la notion d'identité sexuelle (qu'est-ce qu'un «homme», qu'est-ce qu'une «femme»), et pensée dans la catégorie de l'inversion (qui marque d'ailleurs sans doute significativement encore l'imaginaire de la culture). On songe à la définition vulgarisée qu'en donna K. Ulrichs[12] - et qui fit fortune: l'homosexuel était, au fond, non pas le résultat de quelque «perversion morale», mais plutôt une sorte d'«accident de la nature» (qu'il n'y avait pas lieu de persécuter ou de réprimer), un être né avec «une âme de femme dans un corps d'homme» (et vice versa pour les lesbiennes)... Le freudisme, notamment avec la notion de perversion polymorphe du désir infantile, s'opposa à cette conceptualisation et imposa plutôt largement une conception (elle sera souvent interprétée en termes pathologisants) de l'homosexualité comme «régression» - ou «fixation» - à un stade (infantile) de l'ontogénèse psycho-sexuelle. La psycho-sexologie contemporaine a à son tour profondément bousculé cette définition de l'«identité homosexuelle» en déplaçant en quelque sorte le regard du sujet désirant vers la relation à l'objet du désir et, de manière plus précise, en accréditant désormais la notion d'orientation sexuelle [13]. Cette nouvelle conceptualisation est lourde de conséquences dans la mesure notamment où elle n'implique pas cette espèce de confusion (plus exactement d'inversion) des identités sexuelles, et permet de penser l'homo -sexualité chez des sujets correspondant à des identités sexuelles (masculine ou féminine) claires et «normales», i.e. sans le recours nécessaire à une catégorie comme celle de l'«inversion» de l'identité du sujet désirant [14].

Si, de fait, des «indices d'inversion» comme l'efféminement, par exemple, pouvaient être révélateurs de l'homosexualité dans une conceptualisation centrée sur cette notion d'inversion, il n'en va évidemment plus de même dès lors que l'on pense davantage en termes d'orientation sexuelle du désir. Si bien, note Guy Hocquenghem[15], que «dans l'histoire personnelle de chacun, le moment essentiel par lequel "on le devient", plus encore que le premier acte, c'est l'aveu du nom. Ce moment craint et espéré où l'on déclare: "je suis homosexuel". Passage de l'insu au su, qui à lui seul cerne tout le problème de cette étrange minorité. L'homosexuel, plus que tout autre type social, n'existe pas vraiment avant de s'être lui-même "véridiquement" nommé».

Et le fait est que l'émergence contemporaine de l'homosexualité gaie, comme celle - concomitante - de la communauté qui nous intéresse ici, s'est essentiellement axée sur ce leitmotiv de la révélation du désir, de l'aveu du nom, i.e., de l'affirmation publique - à la fois fière et valorisée - de l'être-homosexuel, concrétisée dans le thème du «coming out », de la «sortie» hors du «placard» de la clandestinité honteuse. On pouvait être homosexuel «malgré soi» - et fort malheureux de l'être... Etre gai, désormais, ce sera assumer positivement - ou tout au moins entrer dans une démarche en vue d'assumer positivement - son homosexualité comme variante possible et légitime de l'«orientation sexuelle». Et ce, aussi bien au plan personnel (par rapport à soi-même, à ses proches, à son milieu de travail, etc.) qu'au plan socio-politique - où il s'agira en somme pour la «minorité» homosexuelle d'affirmer positivement sa présence dans l'ensemble de la société et de la culture.

À cet égard, il faut ajouter que ce «mouvement» homosexuel s'est en quelque sorte inscrit dans la dynamique du plus vaste mouvement de «libération» tous azimuts qui a déferlé sur les années 60 et 70; dernier rejeton des «radical sixties», il a emboîté le pas aux mouvements des femmes, des noirs, des jeunes, des écologistes, empruntant à ce mouvement polymorphe sa logique libérationniste, essentiellement fondée sur une revendication politique de droits civils (logique elle-même inscrite dans le grand mythe de la modernité occidentale depuis la Déclaration des Droits de l'Homme).

Mais il est également intéressant de faire une place particulière, dans cette perspective, à la problématique de libération nationale des dernières décennies, qui a également modélisé le mouvement gai : «On imagine, suggère encore G. Hocquenghem, sur le modèle des libérations nationales de la précédente décennie, la libération homosexuelle comme un processus graduel et invincible (...), fondée sur la progressive mise à jour d'une réalité préexistante et incoercible (É)» [16] «L'affirmation d'une identité homosexuelle, de renchérir D. Altman, «intellectuel organique» du mouvement gai américain, est tout aussi politique que celle d'une identité tchèque ou roumaine au siècle dernier (...)»[17] Cette dimension revêt une importance particulièrement significative au Québec dans la mesure où l'émergence du mouvement gai y a été largement contemporaine de l'émergence du nationalisme souverainiste, notamment dans sa phase la plus aigue: celle de la période référendaire. C'est d'ailleurs peu dire que ces deux émergences aient été contemporaines. À maints égards, elles se sont trouvées en étroite et complexe interrelation, comme en témoignent aussi bien une lecture des principales publications gaies militantes de l'époque, que les réactions fort significatives de plus d'une figure de proue du mouvement souverainiste québécois[18]. Mais songeons également à l'importance capitale d'une oeuvre littéraire come celle de Michel Tremblay, largement habitée par une thématique homosexuelle - à qui Tremblay a explicitement confié le rôle de symboliser l'ensemble de la société québécoise en émergence: «Je me suis toujours servi du monde homosexuel pour dire autre chose, de préciser M. Tremblay dans une interview: soit l'état de travestissement d'un pays voulant donner l'illusion d'être différent de ce qu'il est (...)»[19]

Le Québec des années quatre-vingt n'a certes pas fini d'interroger l'impact de cet «évènement référendaire» sur l'avenir de la société et de la culture d'ici, comme sur l'«identité québécoise» elle-même. Et il ne s'agit évidemment pas de jouer ici aux prophètes... Cependant, un certain nombre de constatations semblent au moins possibles, bien qu'elles demeurent largement à interpréter. On peut ainsi relever - si l'on ne tient pas trop rigueur du concept! - ce qu'on pourrait appeler une «yuppisation»[20] d'importantes couches de la société québécoise actuelle, notamment parmi celles qui avaient largement donné au souverainisme québécois son dynamisme le plus engagé. Le mythe de l'entrepreneurship individuel y a largement supplanté celui de l'indépendance nationale...

Or il semble bien que l'on pourrait faire une constatation analogue en ce qui concerne la communauté gaie issue du mouvement de libération homosexuelle des années soixante-dix. Phénomène qu'il faut d'ailleurs vraisemblablement interpréter comme le signe d'une atteinte non négligeable des objectifs et des revendications socio-politiques de ce mouvement[21]. Force est en effet de reconnaître que, malgré de persistants malaises dans notre société[22] (comme dans l'ensemble des sociétés occidentales), l'homosexualité s'y voit désormais largement tolérée, voire reçue. Non seulement est-elle protégée (fût-ce imparfaitement) contre la discrimination par d'importants textes législatifs, mais celle-ci est accueillie de manière relativement positive - voire relativement banalisée - par d'importants secteurs de la société. Les indignations morales que la culture avait pu nourrir jusque là à l'endroit de l'homosexualité se sont en partie déplacées sur d'autres réalités (la sexualité des mineurs, par exemple, la violence et la pornographie, etc.).

Tous semble s'être passé comme si les homosexuels - au moins les hommes homosexuels - s'étaient en quelque sorte imposés comme «interlocuteurs valables» et «citoyens à part à part - à peu près - entière», i.e. d'abord et avant tout peut-être comme «consommateurs rentables» et «contribuables respectables», dans une société qui se fonde toujours sur le vieux mythe de la démocratie libérale: «No taxation without representation»... Plus encore: les homosexuels, à travers leurs luttes de revendication (comme les Verts allemands siégeant au Bundestag ou les anciens soixante-huitards recyclés en jeunes cadres dynamiques...), ont fait la preuve qu'ils étaient - individuellement et collectivement - des citoyens fiables et utiles[23]. Hocquenghem encore, d'une manière qui n'est peut-ête satirique que si l'on y tient vraiment, parlait à cet égard de l'apparition d'un nouveau type d'homosexuel: «Un stéréotype d'homosexuel d'État, intégré à l'État, modelé par l'État et proche de lui par les goûts, rassuré d'ailleurs par la présence de tel ou tel sous-ministre lui-même homosexuel sans fausse honte (...) remplace progressivement la diversité baroque des styles homosexuels traditionnels.»[24] Un observateur sociologue de la scène québécoise va dans le même sens en précisant encore davantage: «Si l'homosexualité a pu jadis inquiéter les classes dirigeantes, c'est parce que sa gestion faisait problème (...) Mais il n'en va plus de même aujourd'hui: grâce au "progrès", des alternatives ont vu le jour et des techniques nouvelles se sont développées qui rendent maintenant la gestion possible. Les craintes se dissipent (...) L'homosexualité se normalise et entre dans le champ de la domination techno-cratique(...)» [25].

Non seulement, donc, la communauté homosexuelle s'est-elle dotée de tout un réseau - non plus clandestin mais bien visiblement insrit dans le paysage social, tout au moins dans les grandes aglomérations urbaines[26] - de services, commerces, établissements, lieux de rencontre (y compris sexuelles), mais de nombreux interfaces ont pour ainsi dire rendue la communauté gaie de plus en plus «compatible» avec la société dans son ensemble[27].

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Le problème - si l'on ose dire! - c'est que cette communauté gaie-là demeure somme toute le fait d'une minorité vraisemblablement assez restreinte, et qu'elle est infiniment loin, en tout cas, de couvrir - ou de «représenter» - la totalité du «désir homosexuel» présent dans la culture actuelle.

Problème? On pourrait assurément - et ce ne serait même pas de la mauvaise méthodologie! - s'en tenir à l'étude de cette communauté gaie visible et concrète, qui a une existence et un intérêt indéniables en tant que telle. La chose n'est pourtant pas si simple, ne serait-ce qu'à cause des interactions qui font que la «base matérielle» même de la communauté gaie - ce désir homosexuel - ne tient pas forcément compte des délimitations et paramètres identitaires de la communauté gaie (notamment bien sûr en ce qui concerne les échanges sexuels) et ramène dès lors à reposer sur cette base la question d'une «communauté homosexuelle».

Force est de l'admettre, au risque d'égratigner quelque peu certains fantasmes narcissiques de la communauté gaie : la majorité de nos contemporains qui sont habités ou traversés de manière significative par un désir homosexuel vivent ce désir en dehors de toute référence spécifique à une «communauté gaie [28] - voire à une «identité homosexuelle» (fondatrice de cette communauté). Songeons par exemple à ces hommes socialement reconnus comme «hétérosexuels» (et vivant souvent d'ailleurs dans des situations maritales et parentales) qui vivent néanmoins une partie non négligeable de leur sexualité avec d'autres hommes, sans pour autant franchir le Rubicon (ou la porte du placard!) d'une identifiction comme «homosexuels» (qui les agrégerait potentiellement à cette «communauté»). Songeons également à un nombre considérable de jeunes qui, dans une société aux codes éclatés et aux identités à la fois molles et mobiles[29], vivent «homosexuellement» une partie importante de leur sexualité sans pour autant eux non plus franchir ce pas de l'«aveu du nom», d'une affirmation qui en «ferait» des «homosexuels». (Le cas des jeunes prostitués est peut-être particulièrement intéressant à cet égard: on aurait en effet volontiers le sentiment que bon nombre d'entre eux - et pour employer des expressions populaires - ne sont pas plus «aux femmes» qu'«aux hommes», mais d'abord et avant tout à «autre chose» de plus crucial pour eux que l'orientation sexuelle - du moins à ce stade de leur existence: argent, drogue, attention, affection, présence...) Et songeons aussi - il faut croire qu'il en existe encore puisque tant de «petites annonces» de drague leur demandent de «s'abstenir»! - à ceux qui vivent - encore - leur homosexualité sous d'autres modes que ceux de la communauté gaie dominante, notamment sous cette vieille figure de l'inversion (efféminement, voir travestisme) ou qui, simplement, correspondent peu aux codes somme toute fort rigides de la «désirabilité» gaie (en raison de leur âge, de leur apparence physique, etc.).

Nous ne disposons hélas pas de données permettant de chiffrer avec beaucoup de précision l'importance relative de cette diversité de «catégories homosexuelles». Mais seule une fort troublante myopie pourrait en négliger l'importance - ou continuer de l'interpréter de manière purement prosélyte et missionaire, i.e. comme une réalité à laquelle le «salut» de la libération gaie (évidemment impensable hors de la «communauté» qui en serait porteuse) ne serait pas encore parvenu...

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Cette constatation peut à vrai dire suggérer une interprétation qui n'est peut-être pas dénuée de pertinence, et qui a l'intérêt d'insérer la question qui nous intéresse ici davantage dans une méditation philosophique plus vaste sur la culture de notre modernité: au plan psycho-individuel aussi bien qu'aux plans social, culturel et politique, l'émergence de l'homosexualité gaie et de la communauté qui en a résulté pourrait bien illustrer de manière assez saisissante cette figure heideggerienne[30] de l'arraisonnement, i.e. d'un mode de dévoilement où l'être (qu'il s'agisse aussi bien de l'«être-individuel» que de l'«être-ensemble») est sommé (comme on le dit des navires suspects arraisonnés par les gardes-côtes...), mis en demeure de se dévoiler, de se dire sous la seule figure de la raison[31]. Cet arraisonnement, on le retrouverait dans l'injonction individuelle du «coming out» comme mise en demeure - douce ou plus totalitaire[32] - de «choisir son camp», i.e. d'opter pour une «identité homosexuelle» bannissant toute ambiguïté; on le retrouverait tout autant dans l'injonction plus politique de s'agréger à la communauté-mouvement promotrice de cette identité et revendicatrice de ses droits (et de se plier, ce faisant, aux multiples codes - esthétiques, éthiques, comportementaux - de cette communauté). En d'autres termes, l'homosexualité masculine contemporaine aurait en quelque sorte été largement mise en demeure de se dire et de se vivre sous cette figure hégémonique de Hocquenghem) d'une identité construite à travers les conceptualisations de la raison scientifique (en particulier la psycho-sexologie contemporaine) et de la raison politique (sur le mode de la libération, à travers une «communauté» considérée comme «sujet» ou «porteur historique» de cette «libération»).

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Il faut pourtant constater encore ceci: cette identité et, dans sa mouvance, cette communauté gaie s qui pourraient bien s'être ainsi «dévoilées» à travers un arraisonnement du désir homosexuel, se sont elles-mêmes produites en occultant, voire en contribuant à dissoudre d'autres types d'être et d'être-ensemble homosexuels: ceux qui existaient précisément avant l'émergence de l'une et de l'autre, et qui - on le conçoit sans difficulté dans la logique de cet arraisonnement -, ont été réinterprétées comme «figures de l'oppression»[33] par rapport auxquelles le mouvement gai se présentait bien entendu lui-même comme «libérateur».[34]

Quoiqu'elles semblent avoir laissé peu de «traces», bien des indices donnent à penser que cette identité et cette communauté homosexuelles étaient à maints égards vécues sur le mode d'une solidarité beaucoup plus organique, i.e. celui d'une socialité communautaire en un sens beaucoup plus proche de la notion de «communauté» évoquée au début de ces pages. Le fait que cette réalité homosexuelle (identitaire et communautaire) d'«avant» la libération gaie ait laissé peu de traces (documentaires, notamment) pourrait à première vue sembler corroborer la thèse - libérationniste - de l'«oppression» de cette réalité, refoulée aux «marges» de la culture, confinée à la clandestinité. Ceci dit, il faut sans doute reconnaître que cette absence de «traces» recouvre bien d'autres réalités de la société québécoise «traditionelle», - société peu littérarisée, on le sait, jusqu'à ces dernières décennies[35]. Il se peut par ailleurs - et la piste gagnerait en tout cas à être explorée davantage - que cette donnée illustre également ce qui pourrait apparaître comme un élément constitutif de bien des tissus communautaires, savoir, celui du secret [36].

Le fait est, en tout état de cause, que cette socialité homosexuelle du Québec traditionnel a été jusqu'à présent fort peu étudiée[37]. À défaut de documentation - ethnographique - plus abondante, la littérature québécoise contemporaine offre en revanche à cette investigation des matériaux d'un significatif intérêt. Et l'on peut notamment de nouveau songer ici par exemple à l'oeuvre - dramatique et romanesque - de M. Tremblay (à laquelle ces pages ont fait rapidement allusion plus haut). Le théâtre et les romans de M. Tremblay jettent en effet sur cet univers de l'être et de l'être-ensemble homosexuel d'avant la libération gaie [38] un grand nombre de fascinants coups de sonde, en dépit - ou en raison même? - du fait que l'imaginaire de Tremblay «grossit» ces personnages et ces situations aux dimensions d'une mythique idealtypologie: Hosanna et Cuirette, Sandra la «sacrée», toute cette faune bigarrée des «clubs» de «la Main», et surtout peut-être cet oncle Édouard dont Tremblay raconte - comme en flashback - la métamorphose en duchesse de Langeais, son règne à la fois glorieux et grotesque, entourée de sa (basse!) cour[39], jusqu'à son assassinat dans un parking sordide de la Main[40].

Un texte plus long que celui-ci n'aurait pas de mal à mettre en lumière les traits caractéristiques de cette «communauté homosexuelle» de la société québécoise traditionnelle telle qu'on peut la pressentir à travers la vaste saga de l'oeuvre de Tremblay. On verrait que ces traits correspondent à maints égards à cette «essence» à la fois passionnelle et contradictorielle d'une solidarité organique, tout à la fois pétrie de générosité et de mesquinerie, de «bitcherie» et de tendresse, de réprobation et d'intégration sociale, d'exhibitionnisme et de secret - aux antipodes, en quelque sorte, de cette variante micro-sociale contemporaine du vieux thème utopique qu'a pour sa part tenté d'incarner la communauté gaie contemporaine (à travers son projet d'affirmation personnelle et de reconnaissance socio-politique et culturelle du désir homosexuel). Là où la communauté utopique de la Raison occidentale prétend abolir à terme les contradictions de l'histoire, la solidarité organique de la communauté les maintient plutôt en une sorte d'équilibre tensionnel centrée sur l'habitation du présent.

Or, encore une fois, cette communauté-là, la «communauté nouvelle» issue du mouvement de libération gaie a dû - en toute bonne foi, quoique non toujours sans mauvaise conscience - aussi bien l'occulter[41] que la détruire, dès lors qu'elle prétendait fonder sa propre raison d'être.

*

Ce serait toutefois mal lire ces pages que d'y déceler l'ombre d'un quelconque «jugement». Encore une fois, il ne s'agit pas tant ici de «critiquer» que de chercher à comprendre. Au demeurant, et bien qu'elle ait pu se produire largement sur le mode de l'arraisonnement, la communauté gaie n'en demeure pas moins elle-même un produit du désir homosexuel. On pourrait d'ailleurs être tenté de dire que l'histoire nous épargne largement la tâche de «juger» - dont elle se charge elle-même. Nous voyons en tout cas possiblement mieux aujourd'hui, à quelque distance des «radical sixties» et des «seventies révolutionnaires», que les utopies libérationnistes, comme ces civilisations dont parlait Valéry, sont elles aussi mortelles. Les bannières sagement rangées dans la naphtaline, qu'en est-il donc du destin de cette «communauté gaie» dans la conjoncture incertaine de la culture québécoise et, plus largement, de l'Occident contemporain?

Étrangement, il se pourrait bien que ce refroidissement des grands mythes utopistes de notre époque - et, parmi eux, celui d'une communauté gaie comme fruit d'une «libération» de l'homosexualité - laisse entrevoir de nouvelles cristallisations communautaires éclatées et ponctuelles, de nouvelles solidarités moins grandioses mais peut-être plus vivaces de leur caractère justement plus organique. On pourrait par exemple penser à ces réseaux souvent nés dans la dynamique de la «libération homosexuelle» mais survivant davantage à ses utopies libérationnistes et à ses fantasmes politiques: regroupements de parents gais, groupes d'entr'aide de victimes du SIDA, etc.; et, plus prosaïquement encore peut-être, toutes ces «entreprises», justement, qui, sans prétention - ni sans ambiguïté! -, n'en assurent pas moins, d'une certaine manière, la perdurance de l'être-ensemble gai [42].

Quelque part, la communauté - dans quelque «identité» qu'elle s'enracine, demeure une manière concrète et pragmatique de répondre à la vieille question - éminemment «philosophique» - qui n'a cessé de tarauder l'humanité depuis tant de siècles: comment se fait-il donc qu'en dépit de toutes les «raisons» qu'il y aurait que tout s'écroule, il y ait de l'être - ensemble - plutôt que rien...

 

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1 D'origine anglo-saxonne, le terme gay, dans cette acception, a été non seulement largement reçu dans le monde occidental francophone, mais il est en général utilisé sous sa forme francisée, en particulier au Québec. Ces pages s'en tiendront à cet usage. | retour au texte |

 

2 Cf., e.g., M. Maffesoli, La conquête du présent. Paris, P.U.F., 1979; L'ombre de Dionysos. Paris, Méridiens/Anthropos, 1982. | retour au texte |

 

3 Autre image-force - mais moins métaphorique, peut-être: celle de la justice et la rationalité «froides» de l'État-Providence qui remplacent peu à peu le contact direct de la «charité» lorsque les prélèvements de la fiscalité et les redistributions de l'aide sociale supplantent le geste personnalisé de l'aumône... | retour au texte |

 

4 Et du bien-être social... | retour au texte |

 

5 «J'ai toujours eu l'impression, écrivait ainsi par exemple S. Ferenczi, psychanalyste contemporain de Freud, que de nos jours on appliquait le terme d'homosexualité à des anomalies psychiques par trop différentes et, fondamentalement, sans rapport les unes avec les autres. Le rapport sexuel avec son propre sexe n'est qu'un symptôme (...)» («L'homoérotisme. Nosologie de l'homosexualité masculine» (1914) in: Psychanalyse. Paris, Payot, 1968. | retour au texte |

 

6 M. Proust, À la recherche du temps perdu, V (Sodome et Gomorrhe ). Paris, Gallimard, 1954 [Folio] p, 24 passim. | retour au texte |

 

7 F. Carlier, La prostitution antiphysique (1854) (Rééd. Paris, Le Sycomore, 1981). | retour au texte |

 

8 M. Foucault, La volonté de savoir. Histoire de la sexualité, I, Paris, Gallimard, 1976. Cf. également, en bonne partie dans la mouvance de son inspiration, les monographies plus particulières de K. Plummer, ed., The making of the Modern Homosexual. London, Hutchinson, 1981; J. Weeks, Coming Out. Homosexual Politics in Britain from the Nineteenth Century to the Present. London, Quartet, 1979 (1977). Cf. également, G. Lanteri-Laura, Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale. Paris, Masson, 1979. | retour au texte |

 

9 Le terme d'homosexualité lui-même est dû à un médecin - lui-même homosexuel militant - d'origine hongroise, du nom de Kertbeny (qui utilisait aussi le pseudonyme de Benkert). Cf., pour un rapide aperçu de cette histoire des débuts du militantisme homosexuel, G. Hocquenghem, Race d'Ep! Un siècle d'images de l'homosexualité. Paris, Éd. libres / Hallier, 1977. | retour au texte |

 

10 M. Foucault, op. cit., p. 59. Nous soulignons. | retour au texte |

 

11 Les premiers «militants homosexuels» dans l'Europe de la fin du 19e siècle et du début du 20e furent en effet souvent des scientifiques (médecins, ethnologues, etc.) qui tentèrent en quelque sorte de «normaliser», de «naturaliser» l'homosexualité sur le terrain scientifique. | retour au texte |

 

12 K. Ulrichs, Gesammelte Werke. Leipzig, Max Spohr, 1898. Cf. également H. Ellis, Sexual Inversion. Studies in the Psychology of Sex. N.Y., Random House, 1936 et les dernières éditions de la Psychopathia Sexualis de R. von Krafft-Ebing. | retour au texte |

 

13 Cf., e.g., C. Crépault et al., Sexologie contemporaine. Montréal, P.U.Q., 1982. | retour au texte |

 

14 Il est d'ailleurs significatif que l'homosexualité gaie contemporaine ait largement contribué à diffuser une image hyper-virile (même «macho»!) de la masculinité, lors même que cette image tend à s'atténuer en Occident, notamment sous la poussée des transformations engendrées par le féminisme... | retour au texte |

 

15 Race d'Ep!, op. cit., p. 23. | retour au texte |

 

16 G. Hocquenghem, op. cit., p. 14. | retour au texte |

 

17 D. Altman, The Homosexualization of America, the Americanization of the Homosexual. New York, St. Martin's Press, 1982, p. 165. | retour au texte |

 

18 «J'ai eu beaucoup de difficulté à accepter mon homosexualité, confiait P. Bourgault il y a quelques années (Le plaisir et la liberté. Montréal, Nouvelle Optique, 1983, p. 65); c'est la première fois que j'en parle publiquement (...) S'il y avait eu un mouvement [gai] quand j'étais plus jeune, j'aurais peut-être milité; ça aurait pu être ma cause (...)» On peut également songer à l'itinéraire d'un P. Vallières, passé du militantisme indépendantiste au militantisme gai (notamment à travers une collaboration au mensuel gai Le Berdache ). Le «cas» de l'ancien ministre Claude Charron est également intéressant à cet égard. Dans son autobiographie (Désobéir. Montréal, VLB, 1983) Charron racomnte en effet comment, d'une cetaine manière, la difficulté d'y vivre «confortablement» son homosexualité, conjuguée au désenchantement de l'espoir référendaire, l'a amené à abandonner la vie politique. Ces témoignages, à maints égards convergents, débordent vraisemblablement la simple «anecdote» personnelle et mériteraient d'être creusées davantage. | retour au texte |

 

19 M. Tremblay, interview dans Le Berdache (Montréal), 25 (novembre 1981) p. 30. Une des pièces plus récentes de Tremblay, Les anciennes odeurs, de même que son dernier roman, Le coeur découvert, abordent la thématique homosexuelle d'une manière à première vue beaucoup moins métaphorique et correspondant davantage à l'homosexualité gaie contemporaine. | retour au texte |

 

20 Il semble toutefois que le «concept» soit déjà dépassé (ou... dé-branché!) et qu'il faille plus précisément parler aujourd'hui de phénomène DINK (acronyme de «Double Income No Kids»...) - particulièrement pertinent - on le conçoit sans peine! - dans le cas de bon nombre d'homosexuels... | retour au texte |

 

21 Cf., e.g., pour le monde gai californier, l'étude de A.-E, Dreuilhe, La société invertie - les gais de San-Francisco. Montréal, Flammarion Ltée, 1979. Il n'existe pas d'étude équivalente pour le Québec. Il suffit néanmoins de feuilleter les pages publicitaires des périodiques gais pour constater l'étendue et la diversité de cet «entrepreneuship» polymorphe de la «communauté» gaie... | retour au texte |

 

22 Il est indéniable que le traumatisme lié à l'apparition du SIDA, il y a quelques années, pourrait jusqu'à un certain point bousculer le paysage et démontrer la fragile précarité de cette «tolérance sociale» - encore que la «problématique» du SIDA semble s'être maintenant passablement élargie au-delà de la minorité homosexuelle. | retour au texte |

 

23 Discrètement, des couples homosexuels se sont vu confier, par les services sociaux «officiels» le rôle de foyer (ou de famille) d'accueil pour de jeunes homosexuels en difficulté. ou, selon ce que les médias évoquaient plus récemment, pour acompagner des victimes du SIDA. | retour au texte |

 

24 G. Hocquenghem, La dérive homosexuelle. Paris, J.-P. Delarge, 1977, p. 131. | retour au texte |

 

25 G. Renaud, «Mouvement homosexuel et modernisation technocratique: l'exemple des services sociaux spécialisés pour les homosexuels», Revue internationale d'action comunautaire, 7/47 (1982) p. 140. | retour au texte |

 

26 On songe ainsi par exemple au «Village de l'Est» montréalais, plus ou moins originalement calqué sur le East Village new-yorkais... | retour au texte |

 

27 Jusques et y compris, pour prendre un seul exemple - exceptionnel mais significatif -, dans la possibilité, pour des hommes politiques ouvertement gais et publiquement sympathiques à la «cause» homosexuelle, d'être élus et de «représenter» un ensemble plus vaste de commettants. | retour au texte |

 

28 Au moins toute référence «active». Il est évident que des individus peuvent avoir recours à certains «services» offerts par telle ou telle organisation de cette «communauté» (e.g., petites annonces de drague) sans pour autant s'identifier à cette communauté. | retour au texte |

 

29 Cf., e.g., sur ce thème, G. Lipovetsky, L'ère du vide. Essais sur l'individualisme contemporain. Paris, Gallimard, 1983. | retour au texte |

 

30 Cf. M. Heidegger, «La question de la techique», in: Essais et conférences. Paris, Gallimard, 1958. | retour au texte |

 

31 Et, plus précisément, d'une raison d'essence technicienne, i.e. marquée par la puissance de l'opérativité. Pour une étude plus approfondie sur ce thème, cf. G. Ménard et C. Miquel, Les ruses de la technique» : Histoires du symbolisme des techniques . (À paraître, Montréal, Boréal, automne 1987). | retour au texte |

 

32 C'est-à-dire, e.g., soit en mettant l'accent sur le plaisir ou la fierté d'être gai, soit en stigmatisant les hésitations «bisexuelles», par exemple, comme formes de lâcheté ou même de «traîtrise»... | retour au texte |

 

33 Selon l'expression de C. Delacampagne (Figures de l'oppression. Paris, P.U.F., 1977). | retour au texte |

 

34 Mutatis mutandis, la même lecture peut bien entendu être faite du mouvement féministe et des autres mouvements de libération inscrits dans une logique analogue. | retour au texte |

 

35 Au moins par comparaison avec les sociétés d'Europe occidentale. Cf., e.g., à cet égard, de G. Barbedette et M. Carassou, Paris gay 1925. Paris, Presses de la Renaissance, 1981. | retour au texte |

 

36 Cf., sur ce thème, M. Maffesoli, «L'hypothèse de la centralité souterraine», Revue internationale d'action communautaire, 15/55 (printemps 1986) 159-164. | retour au texte |

 

37 Les seules études à ce sujet sont celles de M. Leznoff, «Interviewing Homosexuals», American Journal of Sociology, 62, 2 (1956) 202-205; M. Leznoff et W.A. Westley, «The Homosexual Community», Social Problems, 2 (1956) 257-263; cf. également R. Higgins, «Montréal, Easton des années cinquante vu par Leznoff», Sortie (Montréal) août 1983, p.7. Cf. en outre la remarquable thèse (non publiée) de maîtrise en anthropologie (U. Laval) de B. Garneau, L'homosexualité masculine au Québec, 1980. K.E. Read (Other Voices. The Style of a Male Homosexual Tavern, Novato, CA, Chandler & Sharp, propose une fort intéressante étude ethnographique de cette réalité dans le contexte américain - qui pourrait néanmoins suggérer des analogies avec la situation québécoise. | retour au texte |

 

38 Dans sa pièce Les anciennes odeurs ainsi que dans son dernier roman, Le coeur découvert, Tremblay «enregistre» néanmoins cette «mutation» de la libération gaie. | retour au texte |

 

39 Leur lieu de rassemblement, au fond d'un bar, est précisément désigné comme le... poulailler! (Cf. M. Tremblay, La duchesse et le roturier. Montréal, Leméac, 1982). | retour au texte |

 

40 Que l'on pourrait d'ailleurs symboliquement interpréter comme signifiant la mort d'une certaine manière d'être homosexuel. C.f., e.g., le dialogue de la Duchesse avec une transsexuelle au début du 4e tome des «Chroniques du Plateau Mont-Royal, Des nouvelles d'Édouard. Montréal, Leméac, 1984). La Duchesse - d'instinct - sent le/la transsexuel/le pris/e dans les rêts de cet «arraisonnement» plus général de la sexualité moderne, qui a notamment transformé la vieille catégorie (d'abord symbolique) d'inversion en technique «dure» (psycho-médicale) de transsexualisation. | retour au texte |

 

41 On peut noter qu'il a, à l'inverse, fantasmé sur un mode quasi idyllique une figure homosexuelle décelée dans l'éco-système socio-culturel des cultures amérindiennes traditionnelles, celle du berdache, dont le nom a fourni son titre à la première publication gaie militante d'envergure au Québec (Le Berdache - 1979-1981). Cf., sur cette question, G. Ménard, «Du berdache au Berdache : Lecture de l'homosexualité dans la culture québécoise», Anthropologie et sociétés, 9, 3 (1985) 115-138. | retour au texte |

 

42 Mais on peut également songer à des phénomènes à première vue beaucoup plus «étranges» telles, par exemple, ces «Paradise Communities» nées dans les milieux des «interprètes» du cinéma pornographique gaie en Californie. (Un jeune chercheur en ethno-méthodologie de l'U. de San Diego, S. Comb, en présentait une première analyse dans le cadre du colloque «Homosexualité, homosocialité et urbanité», organisé par le Centre d'Études sur l'Actuel et le Quotidien de l'Université de Paris V et l'Institut de sociologie de l'Université d'Amsterdam, à la Sorbonne, le 13 novembre 1976.) Ces groupes se sont formés d'individus «à très haut risque de SIDA» - on le soupçonne sans peine... Ayant en quelque sorte le choix entre le recyclage et... le suicide, ces gais se sont au fond donné des réseaux d'échanges (sexuels, bien entendu, mais débouchant aussi sur un tissu sociétal beaucoup plus dense et complexe) sur la base d'une exigence - voire d'une communauté d'identité! - rigoureuse: le certificat médical attestant la non exposition au virus du SIDA... Cet exemple - sur lequel il n'est hélas pas possible de s'étendre ici - illustre peut-être fort significativement en revanche ce caractère ambivalent et contradictoriel de la communauté organique, à la fois férocement impitoyable et farouchement orientée vers la perdurance de l'être-ensemble. | retour au texte |

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