Note irrévérencieuse - quoique épistémologique! - sur l'ethno-musicologie, la socialité, l'Inquisition, la forme et, de manière générale,
les sciences sociales

R.I.A.C. [Revue internationale d'action communautaire / International Review of Community Development], 15/55 (printemps 1986) 137-147.


À la mémoire de Michel de Certeau [1]


Résumé

"Pourquoi des poètes en ce temps de détresse épistémologique des sciences sociales?"... Telle pourrait être, paraphrasant Hölderlin, l'interrogation-amorce de cet article qui propose quelques pistes de réflexions en ce sens à partir du spectacle-performance de l'enthno-musicologue et artiste italienne Giovanna Marini. Celle-ci, depuis quelques années maintenant, et sur plusieurs scènes d'Europe et d'Amérique, se transforme en cantastorie, en raconteuse-chanteuse qui tente de faire revivre, sur scène, à travers le récit et la musique, le quotidien des petites gens de l'Italie "profonde" que sa "pratique de terrain" lui a appris à connaître. À travers l'"exemple" de G. Marini, l'article aborde un certain nombre de thèmes au coeur de la pratique et du discours des sciences humaines: la socialité, l'interprétation, la formalisation. Il interroge la violence qu'exerce souvent sur le réel une entreprise scientifique en bonne partie née de l'Inquisition. Les sciences sociales, suggère-t-il, peuvent être autre chose que des "sciences auxiliaires de la police" - à condition de se faire complices du clin-d'Ļil du poète, comme en écho à ce "rire de Dieu" dont parlait Kundera...


Pré-texte

Pourquoi des poètes en ce temps de détresse?...

Hölderlin

 

Je ne vais presque jamais à Ottawa - et presque jamais non plus, hélas, voir de spectacles. J'ai malgré tout fait l'aller-retour Montréal-Ottawa, un soir d'il y a quelque temps, pour rattraper un spectacle raté à Montréal quelques jours auparavant. Non que j'y aie, au départ, passionnément tenu: je réussis somme toute à survivre en ratant à peu près systématiquement tous les "must" de la vie artistique montréalaise, et celui-là en particulier ne me "disait" vraiment rien de spécial. Mais on m'y a presque traîné de force - vous savez comment c'est! - en me disant à quel point c'était... "extraordinaire"! Mais oui, mais oui, bien sûr...

Et pourtant, c'est vrai: ce l'était... [2]

Au fait, il s'agissait de la Cantate pour tous les jours Nº 2, de Giovanna Marini[3].

Et c'est cette soirée qui m'a inspiré, si je peux dire, les propos qui suivent. Que les lecteurs cependant se rassurent tout de suite: je ne crois pas m'être trompé de lieu ou de profession, et je n'ai pas l'intention de jouer ici au critique de spectacle... Non. Extraordinaire, aussi, du point de vue de mon métier à moi, intellectuel patenté, praticien stipendié des "sciences humaines". Et, je crois aussi, du point de vue de ce numéro de la RIAC consacré à la «crise des savoirs» - ou au «savoir d'un temps de crise»... Épistémologiquement extraordinaire, disons. En ceci que la "performance" de Giovanna Marini (pour utiliser ce néologisme du vocabulaire scénique contemporain - il ne convient pas trop mal ici) m'a paru offrir de forts précieux éclairages à plusieurs interrogations aujourd'hui soulevées en "sciences sociales" autour de cette question du "savoir" - de sa genèse, de sa fabrication, de sa diffusion.

«Pourquoi des poètes en ce temps de détresse?...» se demandait gravement Hölderlin, il y a longtemps déjà. Peut-être y aurait-il ici quelques fragments de réponse... Je voudrais en tout cas proposer, dans les pages qui viennent, un certain nombre de pistes de réflexion que ce spectacle de Giovanna Marini m'a suggérées. Je le ferai sous la forme d'un parcours. Je préviens qu'il sera sinueux (et qu'il faudra sans doute, par moment, s'accrocher...) Et très personnel : au sens notamment où, plutôt que de tenter de dresser une problématique générale - et forcément un peu abstraite - des préoccupations épistémologiques dans le paysage actuel des sciences sociales, je partirai d'un certain nombre de questions - nécessairement partielles - et de confrontations - forcément partiales - surgies de mon propre itinéraire[4]. Avec l'espoir, bien sûr, et en faisant le pari - il n'est pas nécessairement présomptueux! - que d'autres puissent de quelque manière s'y "retrouver" eux aussi. Dernière précision - d'ailleurs déjà évoquée par le titre même de cet article : ces pages vont s'éloigner, j'en ai bien peur, des canons du genre littéraire habituel des revues "savantes". Je n'ai, en particulier, voulu en bannir ni l'humour ni l'humeur. Je souhaite seulement, ceci dit, qu'on ne confonde pas l'irrévérence avec le cynisme...

 

Contexte

Il faut être vigilant - pour ne pas perdre sa présence...

Giovanna Marini

 

Malgré les comptes-rendus - le plus souvent élogieux - du Devoir et du Monde, de la Presse ou du Figaro, malgré la notoriété croissante de Giovanna Marini au Québec aussi bien qu'en Europe, il est probablement oportun, avant de proposer ce "parcours", de situer quelque peu le personnage et de dire quelque chose de son spectacle, - notamment à l'intention de ceux et celles que leur flair - ou leurs amis! - n'y auraient pas entraîné déjà, de gré ou de force...

Giovanna Marini est née à Rome, en 1927, dans une famille bourgeoise et musicienne[5]. Luthiste de formation, elle joue plusieurs années avec le célèbre ensemble de musique ancienne I Musici. Elle s'intéresse par ailleurs assez tôt à la redécouverte du "folklore" et, comme ethno-musicologue, parcourt l'Italie de fond en comble. Elle observe, écoute, note. Elle est particulièrement attentive aux "couleurs vocales"[6] si typiques du chant paysan traditionnel, à son "approche"[7], de même qu'à son "rythme" - cette chose qui, souligne-t-elle, n'est pas primordiale pour la musique occidentale "classique", celle-ci ayant d'abord le souci du son, de la mélodie, de l'harmonie[8]. G. Marini a mis au point un système de transcription de cette musique de tradition orale en se refusant absolument à utiliser le magnétophone - qui, souligne-t-elle, «change les personnes en personnages» et risquerait de faire perdre «quelque chose d'impalpable et de précieux».

Et, avec ça? Elle enseigne, bien sûr: depuis quelques années, notamment, à l'École populaire de musique du quartier romain du Testaccio, fondée en 1975, - par un groupe de musiciens un peu anars sur les bords (l'école a commencé par une occupation de locaux...) «On y fait des choses qu'on ne fait pas au Conservatoire», insiste-t-elle. Elle précise, un clin d'oeil dans la voix: «Parce que c'est un conservatoire, justement...»

Et puis, depuis quelques années, sur de nombreuses scènes d'Europe et d'Amérique du Nord, elle recrée - raconte, commente, chante ce qu'elle a observé et entendu, appris. Elle se transforme elle-même en cantastorie, i.e. en certains de ces personnages dont elle parle et qui lui ont appris l'Italie: en raconteuse-chanteuse qui tente de faire revivre, sur scène, à travers le récit et la musique, le quotidien des petites gens de l'Italie "profonde". «Elle chante la lutte, le travail, l'amour, elle raconte et dénonce, elle fonce, elle vibre. À travers elle s'expriment les pauvres gens, les femmes, les vieux, les opprimés, les dissidents, le peuple italien entier et ses contradictions» (CNA, 3). «C'est plus qu'un spectacle, précise-t-elle encore, c'est une façon de faire. C'est une qualité de vie qui accouche de la musique. Les textes sont dans la langue vivante, parfois en dialecte. Et les mots font jaillir la musique...» (Ibid.). À son auditoire francophone, elle raconte et commente - avec un humour irrésistible -, traduisant d'abord, en français, avant d'interpréter, avec ses trois compagnes[9], cette musique poignante, inattendue, tour à tour douce, rauque ou stridente...

 

Texte

C'est une histoire que j'ai lue dans un journal,
il y a des années (...) Voici comment je la raconte.
C'est une vielle femme qui parle (...)

Giovanna Marini

 

J'emprunte à une interview qu'elle accordait lors de son passage au Québec (PDA) le récit qu'elle donne elle-même de la création de l'un des "mouvements" de cette Cantate profane, l'histoire du Bambino d'oro.

Pour expliquer comment est survenue, dans les campagnes mêmes la scission entre le rite et sa fonction, j'ai fait la chanson de l'Enfant d'or. C'est une histoire que j'ai lue dans un journal, il y a des années; elle s'est passée dans un village de Lucanie. Voici comment je la raconte. C'est une vieille femme qui parle.

Je suis descendue au bar,je voulais voir le spectacle à la télé, c'était le 12 décembre 1966 et l'argent tombait du ciel comme jamais, les voisins m'on dit «cours à la télé il pleut des sous», j'y suis allée et j'ai vu la Madone qui disait «pour le Nouvel An nous donnons des millions», je lui ai demandé de me faire cette grâce, elle a incliné la tête elle m'a souri, et moi j'ai fait un voeu à la Madone du Paradis.

Ils ont promis que le petit Dominique irait à la procession vêtu comme un saint. Pour les paysans, cela ne veut pas dire pauvrement vêtu, au contraire, vêtu d'or. Et c'est juste, car cela correspond à la vision que donne l'Église: le Pape est couvert d'or. Il était juste aussi de promettre Dominique en échange des millions de la Loterie du Jour de l'An, car selon la mentalité paysanne, on n'obtient rien gratuitement. Bien plus: quand on a une bouteille de lait et qu'on est deux, on la partage en deux; si on est trois, on la partage en trois, si on est dix, en dix. Un paysan ne pense pas qu'on peut aller à la coopérative chercher neuf autres bouteilles de lait. La dotation qu'on a reçue doit être partagée entre tous les membres de la communauté, elle ne peut pas être augmentée, sinon par des phénomènes naturels, pluie, soleil, vent, grêle. Demander des millions à la Madone était donc juste: les millions tombent du ciel. On n'a pas à travailler différemment pour les obtenir, non: ou bien ils tombent du ciel, ou bien rien... Naturellement, les millions ne sont pas tombés. L'année suivante, le 8 décembre, le jour de la fête de la Vierge, ils n'avaient rien et ne pouvaient pas faire à Dominique un vêtement d'or. Alors ils eurent l'idée, pour qu'il soit tout de même le plus beau de tous, de le peindre en or. L'enfant fut peint en or et en mourut. C'est là-dessus que j'ai fait cette chanson...

Et la cantate continue... Giovanna racontre encore l'histoire de ce village perdu des Pouilles auquel Alcide de Gasperi, premier ministre démocrate-chrétien de l'après-guerre, avait offert de beaux HLMs tout neufs pour remplacer les - pouilleuses! - habitations troglodytiques dans lesquelles les villageois s'entassaient depuis des générations avec leurs poules et leurs vaches. Reconnaissants, certes, ces villageois. Mais un peu embarrassés tout de même, trouvant un peu compliqué de faire grimper des vaches jusqu'au troisième étage par un étroit escalier en colimaçon... L'homme d'État progressiste, qui avait bien d'autres chats à fouetter pour moderniser l'Italie, oublia vite, heureusement, le petit village - qui put ainsi retourner discrètement à ses anciens logements - sans malgré tout vexer la généreuse providence de l'État italien...

Sans cesse, dans son pittoresque récit, Giovanna parle de cette confusion à la fois si typique de la vie populaire italienne et si étrangère aux clairs ordonnancements de la raison[10]. Et c'est l'histoire de cette brave et jolie fille, expulsée - sans comprendre pourquoi! - du couvent où elle passait ses jours au choeur, à prier Dieu, - et ses nuits au lit, à L'aimer à travers ses créatures... Ou celle - si banale, quand on y pense - de ce "demeuré" calabrais ou toscan, tout à fait intégré à la vie du village (et aussi heureux qu'on peut l'être quand on n'a pas à survivre six mois dans la neige!) - jusqu'à ce que quelque travailleur social local[11] s'avisent qu'il serait beaucoup plus convenable - y compris bien sûr pour "son bien" - qu'il soit interné dans un hôpital psychiatrique - où il mourut évidemment de chagrin peu de temps après... Ou, encore, celle de ce village perdu du Mezzogiorno où tout marchait parfaitement: il y avait notamment un bureau de tabac, une gare, une boucherie... Les cigarettes, cependant, on ne les achetait pas au bureau de tabac mais chez le boucher - dont le frère, un peu contrebandier sur les bords, avait de meilleurs prix[12]. Les billets de chemin-de-fer, par contre, c'est au tabac qu'on les achetait - le chef de gare préférant passer ses journées au bureau de tabac (dont il avait aussi la concession) plutôt qu'à la gare où il passait bien peu de trains... Tout allait très bien... Jusqu'au jour où de braves fonctionnaires du Nord, instruits et bien habillés (ils avaient possiblement lu Descartes et peut-être même Gramsci!), s'avisèrent que cette confusion était mauvaise pour le tourisme et qu'il fallait désormais remettre les choses à leur place: les cigarettes au tabac, les billets de train à la gare... Et, bien sûr, personne ne s'y est plus retrouvé. La village s'est mis à péricliter, ses habitants à sombrer dans la dépression...

Mais... je m'arrête, avant d'impatienter le lecteur au-delà de toute rémission possible[13]!

 

Parcours

 

Alors...

Alors il me semble que Giovanna Marini suggère et incarne remarquablement, à sa manière bien sûr unique, une "tâche" qui pourrait incomber aux "sciences sociales" en ces temps de "détresse épistémologique", une "manière de faire" - i.e. de savoir et de dire - dont celles-ci auraient possiblement profit à s'inspirer.

 

1. Les ruses de la socialité

Les Canadiens-français n'ont pas d'opinion.
Ils n'ont que des sentiments...

Sir Wilfrid Laurier

 

Le travail de Giovanna Marini me paraît tout d'abord rejoindre, à maints égards, les perspectives de plusieurs approches actuelles en sciences sociales qui, pour tenter de comprendre quelque chose de la société et de la culture en cette époque de plus en plus orpheline des grands systèmes d'explication du monde, de la société ou de l'histoire, ont focalisé leur regard sur ce que certains ont proposé d'appeler la socialité : c'est-à-dire, cet espace de solidarité quotidienne et "banale" qu'en inversant la typologie durkheimienne M. Maffesoli désigne comme organique, par opposition à la solidarité mécanique du social (en particulier sous la forme étatique que ce social a largement revêtu dans nos démocraties préventives, providence et programmées)[14].

M. Maffesoli, on le sait, a notamment proposé de considérer l'orgiasme comme "forme" et "structure essentielle" de cette socialité qui fonde et régénère constamment le vouloir-vivre et l'être-ensemble des sociétés humaines. Cet à cet orgiasme passionnel, emblématisé par la figure "revenante" de Dionysos, bien plus qu'à la raison apollinienne (et jupitérienne!) de "la loi et de l'ordre" que les groupes humains, suggère Maffesoli, doivent d'abord et avant tout leur vigueur, leur créativité, leur perdurance. (Et leur présence aussi, sans doute, au sens où l'évoquait G. Marini...) Cette socialité dionysiaque apparaît certes volontiers, aux yeux de la raison (et de ceux qui en font profession, les scientifiques - analystes, critiques ou gestionnaires - du social) comme facteur de désordre, d'anomie. À travers elle, de fait, c'est d'abord une logique passionnelle qui s'exprime, toute une gamme de sentiments et d'émotions - le plus souvent réprimés (i.e. policés, disciplinés, "prévenus") par la logique rationnelle du social dans notre "civilisation des moeurs". Cette existence sociétale s'éloigne par ailleurs de toutes les "morales" rationnelles du devoir-être (historique, économique, politique, social) qui, de droite ou de gauche, prétendent savoir ce qu'il faut faire pour "aller au ciel" et tentent d'y conduire l'humanité pour son plus grand bien. De gré ou de force... Les masses, note Maffesoli, acquiescent certes le plus souvent à ces morales. Prudemment, poliment. (Elles ne veulent pas risquer de vexer le signor Gasperi...) Elles conservent toutefois, "par devers elles", ce que Jacques Ferron, puisant dans la tradition populaire québécoise, appelait magnifiquement leur "quant-à-soi". C'est qu'en fait, elles demeurent foncièrement païennes. Au "monothéisme" des "morales" scientifiques ou idéologiques du devoir-être[15], elles opposent d'instinct une pluralité d'idoles qui non seulement représente mieux la complexe (et contradictoire) richesse de leurs qualités propres mais qui, en outre, les protège contre la tyrannie totalitaire des dieux - des théories ou des partis - uniques[16].

À la linéarité historique des saluts (ou des "avenirs radieux") offerts par de tels monothéismes (du ciel chrétien au Grand Soir marxiste, en passant par tous les Progrès positivistes), celles-ci opposent par ailleurs le carpe diem d'une jouissance dépensière qui s'épuise dans l'acte du présent. Aliénation? Inconscience? Telle paraît effectivement, aux yeux de la raison, l'ultime explication de tant de comportements et d'attitudes "populaires", de la tragédie du Bambino d'oro - aux "folies" de la Loterie... (Comment, en effet, expliquer autrement que par l'aliénation - ou la stupidité! - que le peuple québécois entretienne des comportements politiques aussi peu rationnels que ceux qui l'ont si longtemps - par exemple - amené à plébisciter à la fois P.E. Trudeau et René Lévesque, ou, pour citer la célèbre boutade d'Yvon Deschamp, à voter «pour un Québec indépendant dans un Canada fort»!... Comment rendre raison, autrement, de son «non merci» référendaire, de son délirant accueil de Jean-Paul II, de sa passion pour les matches Canadiens-Nordiques ou de son engoûment plus fort pour les loteries que pour les fonds de solidarité ouvrière... Comment expliquer - raisonnablement! - que, pendant des jours, des milliers de gens aient fait la queue à la porte d'un bungalow de banlieue dans l'espoir de voir de mystérieuses icônes pleurer, de troublantes statues verser des larmes de sang?...)

Et si pourtant, suggère Maffesoli, il s'agissait plutôt de surconscience ? Cette socialité dionysiaque ne reposerait-elle pas sur un sens très aigu du tragique de la condition humaine, de l'incontournable limite de la mort? L'orgie dépensière - d'argent, d'émotions fortes, d'illusions ou de "rendez-vous ratés avec l'histoire" - ne résout certes pas les contradictions de cette dernière, pas plus qu'elle n'abolit la mort. Elle la conjure peut-être, par contre, en l'exorcisant, en l'ingérant quotidiennement à petites doses...[17]

*

Alors, première leçon de Giovanna: si l'on veut savoir ce qui se passe dans un village des Pouilles, il vaut sans doute mieux ne pas se contenter d'étudier les statistiques officielles sur l'occupation des HLMs ou d'analyser - même par ordinateur! - les discours de la Démocratie-chrétienne...

Je suggère - très grossièrement et très irrévérencieusement, bien sûr - un petit exercice: il consisterait à faire l'inventaire de tous les "événèments" que le silence du Devoir [18] - et le sérieux de son "cahier économique"... - confinent aux "faits divers à sensation" du Journal de Montréal, d'Écho-Vedettes ou d'Allo-Police. Il me semble bien que c'est là qu'on les retrouve - en bonne partie - nos Bambini d'oro, nos contrebandiers de Calabre ou nos carmélites nymphomanes... Notre socialité, en somme, dans cet écart [19].

 

2. Dx Dy (y) - ou: de l'interprétation

Le critique est au milieu et juge (...)
...........................................
L'interprète, au milieu, traduit (...)

Michel Serres,
ouvences sur Jules Verne

 

Robert Jaulin, (relativement...) célèbre ethnologue de la mort sara et farouche dénonciateur de l'ethnocide[20], à qui je dois une partie de ma (quelque peu délinquante) formation, - Robert Jaulin avait coutume de résumer la tâche de l'ethnologue (mais elle peut sans doute ici représenter celle de bien d'autres "sciences sociales") au moyen d'une fort simple équation:

Dx Dy (y)

L'ethnologue (en l'occurrence ici D ), qui appartient d'emblée à un univers culturel donné (disons, x ) fait profession de s'intéresser à un monde - y - qui lui est au départ étranger, inconnu[21], et qu'il - ou elle - ne pourra vraiment connaître, comprendre à moins d'y être lui - ou elle - même de quelque manière initié[22], de devenir y, en quelque sorte (Dy ). Mais, à moins de déchirer son billet de retour et de basculer totalement dans y (comme le Ridgewell de L'Oreille cassée...), son métier l'amène à revenir en x, pour y raconter - i.e. faire connaître et comprendre - y, pour interpréter y en x. Formidable vertige ou présomptueux pari? Traduttore, traditore, va le dicton italien: traducteur, traître...

hi25

Michel Serres[23] aborde lui aussi ce travail de l'interprète en termes de traduction. L'interprète se distingue tout d'abord du critique qui, adossé à une série de critères, à une "bibliothèque première" et privilégiée (à une bible, en quelque sorte...), balance le vrai du faux, juge et évalue le message au moyen d'analyseurs importés (de sa bible...). Il s'intéresse à la limite moins au "message" qu'à la source de l'émission, et même à ce qu'il y a "derrière" (une "libido", un "complexe", un "intérêt de classe", un "habitus culturel"...) L'inteprète, lui, circule entre des textes, comme sur une pierre de Rosette[24]. Il tente moins de chercher ce qu'il peut y avoir "derrière" ces textes que de "faire des ponts", si l'on peut dire, entre des textes à "première vue" étanches, imperméables les uns aux autres[25].

Serres insiste par ailleurs sur le coût du geste herméneutique, du geste d'interprétation. Ce geste implique en effet un prix à payer (interprétation: inter - pretium...) On n'y échappe pas: Hermès, dieu des interprètes, est aussi celui des commerçants, des trafiquants et des voleurs... Le message (en l'occurrence, ici, ce qui provient de y ) est une énergie, un coût. Et l'interprétation n'en «réveille les traces(...), ne rend l'information vivante que si elle paie le même prix que celui qui fut investi. L'interprète, au milieu du canal [de la communication], fait circuler ce prix, ce coût énergétique» (p. 232)...

*

Ici encore, bien sûr, le travail de G. Marini apparaît à la fois remarquable et efficace: non seulement celle-ci s'est-elle prêtée à une longue initiation - de x en y - au long des chemins poussiéreux et des ruelles étroites de l'Italie "profonde", i.e. à cet apprivoisement d'un univers qui n'était pas le sien au départ, apprivoisement sans lequel les microtons subtils du chant populaire italien - pour ne prendre que cet exemple - lui seraient vraisemblablement apparus comme de simples "fausses notes" - si même ils ne lui avaient pas totalement échappé[26]. Mais son effort de traduction mérite aussi d'être relevé. Il aurait pu se confiner - ç'aurait déjà été quelque chose! - aux notes de quelque revue spécialisée, aux communications de quelque société savante, aux murs de quelque salle de cours - ou même aux diapositives de quelque show de grands explorateurs. Giovanna le pousse beaucoup plus loin encore. Elle devient elle-même, sur scène, cantastorie. Elle devient elle-même y. Elle ne se contente pas de traduire - en français - telle légende frioulane ou d'abstraire tel fait divers qu'elle a glané en dialecte sicilien. Elle les chante, avec les mêmes "fausses notes" - que sa formation de musicienne "classique" lui avait sans nul doute appris à bannir. Elle fait place à y. Elle transpire, sur scène, le rire et la colère, elle fait circuler la tristesse et le désir de l'Italie. Et, en transpirant ainsi - i.e., en payant le récit de son propre corps, elle transfère à son auditoire non pas un "fait divers" anecdotique mais un fait social global, chargé d'énergie, d'émotion[27].

Seconde leçon de Giovanna.

Selon des statistiques - américaines et au-dessus de tout soupçon méthodologique -, les articles des revues "savantes" (i.e. supposées savoir...) auraient, en moyenne, entre deux et trois lecteurs. Les statistiques ne disent toutefois pas combien, parmi eux, meurent périodiquement d'ennui - mais savants, noyés sous les notes de bas de pages...

 

3. Sciences sociales et jogging - ou: le syndrôme de la forme

 

- Etes-vous en forme?
- Ouiii!!!!!!!!!
- En forme de quoi?...

Dialogue de Ding et Dong
avec son public

 

Robert Jaulin, universitaire non conformiste et bagarreur, grand pourfendeur d'universaux lévi-straussiens[28], m'a néanmoins toujours semblé partager avec le célèbre auteur de Tristes tropiques la passion de la structure, l'obsession de la formalisation[29]. Les deux frères ennemis de l'ethnologie ne sont certes pas les seuls - il s'en faut! - à partager cette passion. Du formisme de Simmel[30] au carré sémiotique de Greimas, en passant par le structuralisme d'Althusser ou celui de Lacan, on serait même à vrai dire plutôt porté à penser que l'époque moderne a fait de cette structuration, de cette "mise en forme" de la réalité sociale la raison d'être, la cause finale ou la substantifique moëlle des sciences humaines[31].

Mais c'est à un autre de mes "maîtres", Michel de Certeau, penseur aux multiples horizons, que je songe particulièrement ici: peut-être parce que, entre autres choses, il s'est intéressé - et, je crois, de manière fort inspirante - à certaines recherches dont les perspectives se rapprochent elles aussi, me semble-t-il, de la socialité maffesolienne - ou du regard de Giovanna Marini.

De Certeau, notamment dans la première partie de L'invention du quotidien[32], amorce en effet une importante recherche «née, précise-t-il, d'une interrogation sur les opérations des usagers, suposés voués à la passivité et à la discipline» (p. 9). Assez claire allusion à M. Foucault qui, à l'analyse d'un pouvoir localisable, expansionniste, répressif, légal (le "pouvoir du roi"), a lui-même proposé de substituer une analyse de procédures et de dispositifs techniques minuscules, et esquissé ainsi une sorte de "micro-physique" du pouvoir ("apprendre à penser le pouvoir sans le roi"...) Ce que propose de Certeau, c'est «d'exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus pris désormais dans les filets de [cette] surveillance» (p. 14) décrite par M. Foucault; ces "ruses de consommateurs" «qui composent, à la limite, le réseau d'une antidiscipline», qui "subvertissent" les "productions" ou les "représentations" imposées par le "pouvoir" «par leur manière de les utiliser à des fins et en fonction de références étrangères au système» (p. 12). De Certeau suggère ainsi, par exemple, que l'analyse des images diffusées par les médias - la télé, notamment - doit être complétée par l'étude de ce que le consommateur "fabrique", "bricole", "braconne" en recevant ces images - et qui peut être à des lieues du "contenu" du message ou de son "intention"... On songe ici encore, bien sûr, au «quant-et-soi» du Dr Ferron[33].

Ici encore, la piste paraît s'inscrire dans la mouvance - ou la chréode! - de plusieurs entreprises actuelles en sciences humaines qui, plutôt que de s'en tenir à l'analyse des "appareils" ou à la critique des macro-structures (sociales ou historiques), interrogent les pratiques les plus banales et les plus minuscules de la vie quotidienne - pour y découvrir un réel social un peu "différent" de celui qui affleure dans le discours des politiciens ou des hommes d'Église, les homélies des syndicalistes ou des chefs d'entreprise, les projections des technocrates, ou le ron-ron des intellectuels organiques d'État.

Attention, cependant. Michel de Certeau ne verse pas pour autant dans le "fait divers" ou dans les "histoires de vie"... «L'examen de ces pratiques, précise-t-il (p. 9), n'implique pas un retour aux individus». Il insiste: «On peut supposer que ces opérations multiformes et fragmentaires (...) obéissent à des règles. Autrement dit, il doit y avoir une logique de ces pratiques (...)» Pour saisir la «formalité de ces pratiques», il met en oeuvre deux types d'enquêtes: les premières, plus descriptives et monographiques, tentent de scruter un certain nombre de pratiques, de ritualisations quotidiennes (e.g. circulation dans l'espace urbain, "art de faire" la cuisine, etc.). Les secondes font appel à l'"artillerie lourde", si j'ose dire, de «la littérature scientifique susceptible de fournir des hypothèses permettant de prendre au sérieux la logique de cette pensée qui ne se pense pas»[34] (p. 16).

Trois champs lui paraissent offrir à cet égard un intérêt particulier: en premier lieu, celui de la sociologie, de l'anthropologie et de l'histoire («de E. Goffman à P. Bourdieu, de Mauss à M. Détienne, de J. Boissevain à E.O. Laumann»; ensuite, les recherches ethno-méthodologiques et socio-linguistiques - depuis Fishman («de H. Garfinkel, W. Labov, H. Sacks, E.A. Schegoff, etc.»); enfin, les sémiotiques et les philosophies de la convention («de O. Ducrot à D. Lewis»), ainsi que les «logiques lourdes formalisées et leur élargissement en philosophie analytique dans le domaine de l'action (G.H. von Wright, A.C. Danto, R.J. Bernstein), du temps (A.N. Prior, N. Rescher et J. Urquhart) ou de la modalisation (G.E. Hugues et M.J. Creswell, A.R. White)» (p. 16, passim ).

C'est délibérément bien sûr que j'ai transcrit tous ces noms, mais je m'arrête, les mains tremblantes d'un fragile aveu: leur seule énumération m'a toujours, je le reconnais, donné une sorte de vertige - ou de frisson... (Je l'imagine assez volontiers semblable à celui de Dante devant la célèbre inscription marquant le seuil de l'Enfer: «O vous qui entrez, laissez toute espérance.» Ou, alors, à celui du Bambino d'oro, suffocant sous sa chape d'or...) Il se peut certes que ce vertige ne traduise tout bêtement que l'ignorante angoisse de ma propre paresse. Auquel cas mon frisson n'aurait assurément pas un bien grand intérêt épistémologique... Pourtant, malgré toute l'admiration que je porte à l'érudition de Michel de Certeau aussi bien d'ailleurs qu'à ceux qui ont le courage de suivre ses conseils et de (re!)lire Ducrot, Bourdieu, Garfinkel, Sacks ou Creswell (on pourrait évidemment allonger la liste ou lui substituer d'autres références) pour formaliser l'art d'accomoder les restes ou d'obliquer à travers une pelouse afin d'éviter un coin de rue, je ressens non seulement, je l'avoue, la nostalgie d'une certaine confusion mais peut-être davantage encore une sorte de perplexité : je me demande en fait si la recherche d'une telle formalisation est bien, à tous égards, le meilleur service que l'on puisse rendre à la compréhension du réel, la meilleure manière de "prendre au sérieux la logique" de ces pratiques minuscules, fragmentaires, banales et silencieuses qui tissent la trame de l'existence sociétale. M. Maffesoli[35] évoquait d'une certaine manière cette perplexité en parlant de la «difficulté d'exprimer les courants chauds de l'existence avec des termes qui, quel que soit le souci de la nuance, restent froids.» «Pour dire la monumentalité des grandes formes économiques et sociales, poursuivait-il, le schématisme ou la grille de lecture préétablie peuvent fort bien fonctionner. Il n'en est pas de même pour ces petits riens, ces brèches minuscules, ces créations en mineur qui constituent la vie de tous les jours, le rituel quotidien (...)»

Je persiste en tout cas à me demander à quel point la subtilité d'un rythme de complainte, la nuance d'une couleur de voix ou la délinquance d'une fausse note risquent de survivre à l'aussi grandiose opération de "mise en forme" que les sciences sociales semblent s'être donnée pour vocation et raison d'être. Pour tout dire, je me demande toujours à quel point le réel peut survivre à une telle violence[36]...

 

 

4. Le fer rouge, l'éprouvette et la moyenne statistique. Ou: les avatars de l'Inquisition

 

Soumettre la nature à la question...

Francis Bacon

Violence...

Je m'intéresse depuis quelque temps - les universitaires ne sont hélas pas à l'abri de la mode et des caprices de la conjoncture - à ce que le jargon des sciences sociales actuelles appelle "l'évaluation sociale des changements technologiques" - ou l'étude de l'impact des "nouvelles technologies" sur la société et la culture. En attendant certains crédits de recherche fort convoités (ça se bouscule pas mal, dans le secteur, aux portillons des organismes subventionnaires), pour mettre en branle un certain nombre d'enquêtes sérieuses et empiriques, j'ai tenté, avec un collègue[37], de tuer le temps en retraçant (ça coûte moins cher que les enquêtes empiriques...) les grandes lignes d'une "histoire du symbolisme des techniques"[38], i.e., notamment, en tenant de repérer les grands "univers symboliques" dans lesquels les ensembles techniques de l'humanité se sont inscrits à travers le temps et l'espace des civilisations[39].

Particulièrement fascinant apparaît, à cet égard, l'univers symbolique de la technique qui s'élabore lentement, en Occident, dès l'aube du Moyen Age. Univers largement ambivalent: si la science, fille de la raison, est bonne - puisque don de Dieu -, elle n'en demeure pas moins suspecte, facilement rebelle. (La philosophie d'Aristote, par exemple, n'a-t-elle pas fait aussi bon ménage avec les "erreurs" de l'Islam qu'avec la théologie de saint Thomas d'Aquin? Et la science ne prétend-elle pas (Galilée...) concurrencer le dogme chrétien sur le terrain des vérités absolues et nécessaires?) La technique, en revanche, apparaît plus docile, plus modeste. Elle n'a d'ailleurs pas de quoi être très fière: ne demeure-t-elle pas en effet le cuisant rappel de la malédiction qui pèse sur le travail depuis la Faute originelle? Pourtant, il est vrai qu'elle peut aussi être réquisitionnée au service de la gloire de Dieu et de la construction de son royaume terrestre. N'est-ce pas elle qui servira par exemple à civiliser l'Europe barbare et à couvrir le Moyen Age chrétien de cathédrales? Certes, elle peut toujours être dévoyée - par l'orgueil ou le goût du profit, par le Malin qui rôde... D'où l'utilité de l'Inquisiteur, dont le rôle (pourrait-on parler d'"évaluation théologale des technologies"?...) consiste précisément à savoir discerner l'ivraie du bon grain, en soumettant les suspects à la question, au moyen de... techniques assez efficaces pour leur faire avouer la vérité qu'ils recèlent...

Or il est fascinant de voir à quel point le couple science-technique, en Occident, semble avoir subi la - fascination, justement - de ce modèle de l'Inquisition[40], lors même qu'il dut plus d'une fois faire les frais de ses bûchers. La science occidentale, en s'affranchissant elle-même de la tutelle chrétienne, tentera elle aussi, à sa manière, d'arracher ses secrets à la nature, en soumettant celle-ci à la question ; de la soumettre, notamment par la technique, au pouvoir de la raison. D'arraisonner la nature, suggérera précisément Heidegger. Comme une vedette garde-côtes arraisonne un navire: à coups de semonce...

Et la nature, bien sûr, avouera... Plus que ça: elle tiendra le langage dans lequel on voudra bien la faire parler, i.e. celui dans lequel (on en sera du moins de plus en plus convaincu avec l'âge classique de Descartes et de Leibnitz) Dieu lui-même a inscrit ses lois immuables: le langage privilégié de la raison, celui de la mathématique. Soumis à la question des instruments de mesure, aux tenailles de la technique, aux brodequins des équations, à l'écartèlement des concepts, aux lits de Procuste de la formalisation, aux grilles - de cachots puis de lecture[41] -, le réel - comme le suspect d'hérésie, finit, de fait, par avouer ce que l'inquisiteur-enquêteur souhaite entendre,- et dans sa langue, en plus. Et ce dernier de se frotter les mains de satisfaction: CQFD... Vous voyez bien, ça marche! Les équations se vérifient, les hypothèses répondent. Et les subventions rentrent...

Ce modèle scientifique inquisitorial (avec son rituel de l'expérimentation, son culte de la technique opératoire, de l'instrument de mesure, de la grille d'analyse), le 19e siècle et l'époque contemporaine n'ont eu, somme toute, qu'à l'adapter aux - nouvelles - sciences de l'homme, de la société, de l'histoire, de la culture. Aux "sciences humaines". Et l'homme, la société, l'histoire et la culture ont bien sûr répondu... Les fous sont devenus "paranoïaques" ou "schizophrènes"; les tisserands - promus prolétaires - ont activé la "lutte des classes" peu avant que les femmes ou les écolos ne se mettent à grossir les rangs des "nouveaux mouvements sociaux"; les vieux se sont recyclés dans le "troisième âge", les Haïtiens en minorités visibles", les pauvres en "économiquement faibles" ou en "assistés sociaux"; les tapettes, tout en faisant preuve de "distinction", ont acquis une "orientation sexuelle", et les électrodes des sexologues leur ont permis - comme à tout le monde du reste - de mesurer la durée optimale de leurs orgasmes. Les comportements, de faits divers, sont devenus statistiques. Les textes - «même ceux qui ne sont pas malades!», de s'indigner Gaston Miron - sont de mieux en mieux traités...

Les sciences sociales occidentales avaient jusqu'à maintenant tenté de formaliser la société et la culture. Depuis Macintosh, c'est encore mieux. Elles sont peut-être "en crise", et n'on peut-être plus grand chose à dire, mais qu'à cela ne tienne: elles le formateront superbement. Comme la Marguerite de Faust ou la Diva d'Hergé, rouges du plaisir de se voir si belles en ce miroir...

 

5. Le sourire de Mona Lisa - ou l'ironie de l'objet

 

Au fond, l'objet se moque des lois dont on l'affuble.
il veut bien figurer dans les calculs comme variable sarcastique
et laisser les équations se vérifier, mais la règle du jeu,
les conditions auxquelles il accepte de jouer,
personne ne les connaît, et elles peuvent changer
d'un seul coup...

Jean Baudrillard,
Les stratégies fatales

 

Ironie de l'objet. Sourire d'une variable sarcastique... Il me semble bien que c'est très exactement ce sourire-là - qui échappe souvent si totalement aux sérieux professionnels des sciences sociales - dont se fait complice le clin d'oeil de Giovanna Marini. Il est vrai qu'elle est compatriote de la Joconde...

Non, bien sûr, que Giovanna Marini évite magiquement - il ne s'agit pas d'être naïf ou de faire de la métaphysique! - toute formalisation[42]. Toute perception structure, tout langage formalise. Et Giovanna observe, elle parle... S'il y a un aspect remarquable - et peut-être "exemplaire" - dans sa pratique, ce serait peut-être, cependant, sa prudence et sa circonspection. Sa pudeur... Au point - prenons-le comme indice mais peut-être surtout comme métaphore - de bannir cet apparemment bien inoffensif magnétophone, - qui, pourtant, tel le coup d'éventail du poème de Gautier, risquerait de fêler sans bruit le vase où mourrait la verveine. Qui «change les personnes en personnages». Et qui, dès lors, ne livrerait plus que des masques...

Ici encore, la "suggestion épistémologique" de Giovanna Marini renvoie peut-être seulement, vertigineusement, au corps à corps de la présence : sueur pour sueur, clin d'oeil pour clin d'oeil, coup à l'estomac pour coup à l'estomac. Corps pour corps. «Pour bien peindre un humain, hasardait audacieusement Voltaire, il faut l'avoir vu nu». Seul, sans arme et sans magnétophone... Et peut-être, alors, Béatrice donne-t-elle accès à la grâce inouïe de l'objet.

«Voici comment je la raconte.

C'est une vielle femme qui parle...»

Paradoxalement, la question épistémologique confine peut-être ici à celle de l'éthique, ou, peut-être plus précisément encore, à celle d'une "déontologie du savoir": il se pourrait bien en effet que cette impudique pudeur de Marini, tout en révélant l'"objet humain" (n'est-ce pas la raison d'être des "sciences" humaines?) infiniment mieux que les plus rigoureuses statistiques ou les plus formelles enquêtes, le protège en outre infiniment plus efficacement contre les prédateurs qui, sans cesse, le menacent. Et, en tout premier lieu sans doute, contre la tentation technocratique - ou technocritique ? - de sa gestion. Difficilement formalisable, le savoir des poètes se prête en effet bien mal à l'élaboration de "politiques sociales". On imagine mal les "données" de Giovanna en annexe de quelque Livre Blanc...

En faisant cette suggestion, je présume bien entendu (mais je conçois qu'il puisse y avoir d'autres manières de voir...) que les sciences sociales ont autre chose à faire que de servir à gérer le social. Qu'elles peuvent être en somme, et en d'autres termes, autres choses que des bras scientifiques de l'État, autre chose que des sciences auxiliaires de la police...

 

Fin de parcours

 

Aussi soucieuse de méthode qu'elle se veuille,
aussi fidèle au réel qu'elle se proclame, l'anthropologie
n'est-elle pas de même espèce que le roman?

Fernand Dumont
L'anthropologie en l'absence de l'homme

 

Pourquoi des poètes en ces temps de détresse?

Mais à moins que ce soit... pourquoi des sociologues? Pourquoi Marx ou Weber dès lors que nous avions Dickens ou Zola? Pourquoi Bourdieu, Touraine, Jaulin - ou la R.I.A.C.! -, s'il y a Marini?... Pourquoi des sciences sociales si, comme le souligne non sans courage Fernand Dumont, l'entreprise de ces dernières n'est pas d'une espèce si différente de celle des écrivains et des poètes - avec la prétention en plus et l'émotion en moins?...

Il y a un proverbe juif admirable, suggérait Kundera[43] : "L'homme pense, Dieu rit." Inspiré par cette sentence, j'aime imaginer que François Rabelais a entendu un jour le rire de Dieu et que c'est ainsi que l'idée du premier grand roman européen est née. Il me plaît de penser que l'art du roman est venu au monde comme l'écho du rire de Dieu. Mais pourquoi Dieu rit-il en regardant l'homme qui pense? Parce que l'homme pense et la vérité lui échappe. Parce que plus les hommes pensent, plus la pensée de l'un s'éloigne de la pensée de l'autre. Enfin, parce que l'homme n'est jamais ce qu'il pense être...

Pourquoi des sciences sociales?

Bon... J'espère évidemment qu'on ne s'attendait pas à ce que ces pages, déjà suffisamment présomptueuses, aient en plus la témérité de répondre à la question! Il s'agissait d'ailleurs moins de celle - un peu métaphysique - du "pourquoi" que de celle - peut-être aussi vertigineuse mais tout de même un peu plus manoeuvrable! - du "comment"... Ou, alors, vraiment, de celle de Hölderlin, citée en exergue au début de ces pages: pourquoi des poètes, en ce temps de "détresse épistémologique"...

Pourquoi? Et si c'était pour rappeler gentiment aux sciences sociales que le sourire ironique de leur propre objet se fait - à leur insu! - l'écho du rire de Dieu devant l'arrogant et naïf sérieux de leur prétention au savoir ? Et pour les inviter à la plus modeste complicité - mais sans doute aussi à l'infiniment plus grand plaisir - du clin d'oeil?...

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1 Juste au moment où je m'apprêtais à déposer cet article, j'ai appris la nouvelle de la mort de Michel de Certeau, «figure bien singulière de la vie intellectuelle française», comme écrivait le Nouvel Observateur, jésuite devenu professeur à l'Université de Californie puis à l'École des Hautes Études en Sciences sociales, versé en histoire, en psychanalyse, en ethnologie, en linguistique, auteur de nombreux ouvrages, - et qui fut, il y a quelques années, mon directeur de thèse. Or il se trouve qu'une partie de ces pages se "colletaillent" de manière particulièrement irrévérencieuse avec Michel de Certeau... Bien élevé, j'ai été tenté d'élaguer mon texte ou, tout au moins, de le fleurir un peu en bas de pages... Et puis, j'ai décidé de laisser ces pages telles quelles, sans autre modifiction que cette note, en pensant que c'était finalement peut-être la meilleure façon de rendre hommage à la mémoire de cet homme qui a su remarquablement conjuguer l'intelligence et l'honnêteté, la rigueur et la liberté de penser. |retour au texte|

 

 

2 J'en profite donc pour remercier ici Janine Hohl, Frédéric Lesemann et Gilbert Renaud dont l'enthousiasme m'a attiré - de force! - à ce spectacle - et à qui je dois dès lors, de quelque manière, l'inspiration de ces pages... |retour au texte|

 

 

3 Exécutée par cette dernière accompagnée de Lucilla Galeazzi, Patrizia Nasini et Maria Tommaso. |retour au texte|

 

 

4 D'où - bien que je n'en nourrisse pas le culte et qu'elle ait même en général plutôt tendance à m'agacer - l'encombrante présence du je dans ce texte. Signature fragile, pourtant, bien plus que marque d'arrogance... |retour au texte|

 

 

5 Je n'ai pas cru nécessaire, aux fins de cet article, de multiplier les recherches sur G. Marini, sa carrière et son oeuvre. Je m'en tiendrai en fait essentiellement - en plus de mes propres notations, bien sûr - aux notices des programmes distribués lors de ses spectacles (celui de la Place des Arts, Montréal, octobre 1985 [ci-après PDA]; celui du Centre national des Arts, Ottawa, octobre 1985 [ci-après CNA] (ce dernier sous la signature de F. Davoine). L'une et l'autre notice contiennent par ailleurs de nombreux fragments d'interviews avec G. Marini. J'avais presque terminé la rédaction de cet article au moment où je suis tombé sur le nº de janvier-février 1986 de la revue Mouvements («Le Magazine de la Solidarité») qui consacré un important reportage à G. Marini et publie une assez longue interview de celle-ci (à laquelle j'emprunterai quelques citations [ci-après: Mouvements 1, 86]). Je n'ai malheureusement pas été en mesure d'utiliser toute la richesse de ce dossier - dont les perspectives sont certes assez différentes de celles de ces pages - mais auquel je réfère néanmoins volontiers les lecteurs. |retour au texte|

 

 

6 «Dans le chant paysan, nous avons diverses couleurs vocales qui dépendent des différents modes d'émission... Nous avons la voix qui s'appuie sur le voile du palais, avec une forte résonnance nasale et frontale... nous avons la voix de tête... nous avons la fausse voix... avec résonnance dans le crâne, placée très bas, dans la gorge... nous avons la voix de bouche... avec résonnance dans la poitrine...» (CNA, 2) |retour au texte|

 

 

7 Ce terme indiquant «la façon dont le chanteur joue constamment avec la note, allant la prendre et la quittant avec mille changements de couleur, des jeux de microtons et des jeux techniques inadmissibles dans la musique classique, où on les qualifierait de fausses notes...» (CNA, 2) |retour au texte|

 

 

8 «En général [dans la musique occidentale "classique"] (...) le rythme [est] d'ailleurs conçu comme durée du son organisé, du son juste. En Inde, en Amérique du Sud, la préoccupation du ryhtme est première: l'organisation du son vient après...» (CNA, 2-3) |retour au texte|

 

 

9 Elles pourraient d'ailleurs sembler "résumer", à elles quatre, le corps de l'Italie: Giovanna, droite et hiératique comme une statue de patricienne romaine; la brune mystérieuse qui évoque une toile du Quattrocento florentin; la châtaine - frioulane ou piedmontaise? - que l'on imaginerait volontiers, hystérique, dans le tourbillon de Theorema; la noire, courtaude et fellinienne, semblable à tant de mamas de village entre Naples et Palerme... |retour au texte|

 

 

10 La légende veut que seul Mussolini - significativement? - soit parvenu à faire en sorte que les trains italiens soient à l'heure... |retour au texte|

 

 

11 Mais on penserait volontiers, dans le genre, à la travailleuse sociale du bouleversant Mario de Beaudin... |retour au texte|

 

 

12 Je ne garantis pas l'exactitude absolue de ma mémoire - je n'avais pas non plus de magnétophone, et j'ai moins de pratique que Giovanna: c'était peut-être le beau-frère du boulanger, et ça se passait peut-être dans les Abruzzes plutôt qu'en Calabre... Mais, bon, sur le "fond", je ne pense pas être trop infidèle... |retour au texte|

 

 

13 Ne ratez pas Giovanna, en tout cas - elle raconte tellement mieux que moi! -, la prochaine fois qu'elle passera en spectacle dans vos parages... |retour au texte|

 

 

14 De M. Maffesoli, cf. notamment La conquête du présent. Paris, P.U.F., 1979; L'ombre de Dionysos. Paris, Méridiens/Anthropos, 1982. Cf. également son article dans ce numéro de même que la contribution de L. Racine et G. Renaud, dans des perspectives proches. Sans se référer nécessairement aux perspectives développées par M. Maffesoli, et en privilégiant parfois des concepts différents (celui de sociabilité, par exemple), d'autres réflexions - y compris parmi les contributions de ce numéro de la RIAC - manifestent d'indéniables proximités avec ce qui est ici proposé. |retour au texte|

 

 

15 On peut assurément leur reconnaître le "droit" d'opposer leur prosélytisme à ce paganisme des masses - mais en se prenant à souhaiter qu'elles soient au moins un peu conscientes de reproduire, ce faisant, une attitude tout à fait analogue à celle des grandes religions missionnaires et conquérantes... |retour au texte|

 

 

16 On pourrait - par exemple - être tenté de voir les extraordinaires Ripoux de Claude Zidi comme une fascinante "illustration" de cet "immoralisme éthique" de la socialité banale et quotidienne... |retour au texte|

 

 

17 Rejoignant peut-être ainsi, quelque part, ces stratégies fatales dont parlait Jean Baudrillard...
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18 Mutatis mutandis, on pourrait évidemment adapter l'exercice à Québec, Paris, Bruxelles ou Genève... |retour au texte|

 

 

19 Pleine de meurtres et de viols, de scandales et de bagarres, - «de bruit et de fureur», bien sûr comme suggérait Shakespeare. Mais il me vient un autre exemple - Dieu sait qu'on pourrait les multiplier - moins "sensationnaliste". Je songe à la nouvelle de la mort du comédien Pierre Dufresne (la une du Journal de Montréal, un mince entrefilet perdu dans le Devoir) dont la présence centrale aussi bien dans Le temps d'une paix que dans l'émission pour enfants Passe-Partout avait vraisemblablement fait l'une des figures les plus émouvantes et attachantes pour des millions de Québécoises et de Québécois. Mais comment les intellectuels (qui lisent le Devoir mais qui n'écoutent pas Le temps d'une paix - il n'y a qu'eux pour téléphoner pendant l'émission... ) peuvent-ils comprendre qu'il s'est peut-être vécu là, largement à leur insu, un deuil national... Mais... je m'arrête, sinon on va finir par croire que je ne me contente pas de prendre le quotidien de la rue Saint-Sacrement comme métaphore mais... que je lui en veux vraiment! |retour au texte|

 

 

20 De R. Jaulin, cf. notamment: La mort sara. Paris, Plon - UGÉ (10/18, 542) 1971; La paix blanche. Introduction à l'ethnocide. Paris, Seuil - UGÉ (10/18) (2 vol.) 1974. |retour au texte|

 

 

21 Ce qui ne signifie évidemment pas uniquement l'Afrique équatoriale ou la Nouvelle-Guinée... Nos sociétés éclatées et complexes grouillent de micro-cultures largement étanches, aussi impénétrables qu'une jungle amazonienne, - et dont plusieurs au surplus, qui les "côtoient" pourtant tous les jours, soupçonnent à peine l'existence. Ainsi, par exemple, il est vraisemblable que l'univers d'un club de Hells Angels apparaîtra tout aussi exotique, étranger, irréel et lointain aux adeptes d'une secte d'inspiration orientale que peut l'être celui d'un bar punk pour les membres d'un club vidéo de banlieue. Et tous ces mondes - entre autres! - aux yeux de la plupart des praticiens universitaires des sciences sociales... |retour au texte|

 

 

22 C. Castaneda, on la sait, a largement popularisé une approche fondée sur une conviction méthodologique analogue. |retour au texte|

 

 

23 Cf., notamment, Jouvences sur Jules Verne. Paris, Minuit, 1974, dont proviennent les passages cités ici. |retour au texte|

 

 

24 C'est cette pierre, on le sait, qui permit à Champollion de déchiffrer l'écriture égyptienne, en comparant l'inscription hiéroglyphique gravée sur la pierre à un texte grec - i.e. écrit dans une langue connue de lui - qui s'y trouvait aussi, et qu'il supposa - à juste titre - en être une "traduction".
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25 Texte est bien sûr à prendre ici au sens large. On aurait sans doute une assez extraordinaire illustration de ce processus de "circulation intertextuelle" dans le film Son-Rise: A Miracle of Love (Un miracle de l'amour), de G. Jordan (1979), qui raconte comment des parents sont parvenus à communiquer avec leur enfant autistique - "cas désespéré" pour la médecine - en essayant très précisément d'établir des ponts entre "leur texte" et celui - à première vue impénétrable - de leur enfant... |retour au texte|

 

 

26 «J'étais souvent avec Giovanna Daffini (...) qui était ouvrière agricole dans les rizières de la plaine du Pô (...) Elle coupait de manière étrange ses phrases, ses mots. Au début, j'ai voulu lui enseigner le rythme qu'on m'avait appris au Conservatoire de musique. Je lui disais aussi: "Giovanna, tu chantes faux!" Elle me répondait: "Non je ne chante pas faux, c'est comme cela que l'on chante dans ma culture"...» (Mouvements, 1, 86:47). |retour au texte|

 

 

27 «Lorsque j'ai entendu pour la première fois dans une cantine chanter trois femmes des rizières, cela m'a donné une émotion violente, un grand coup à l'estomac. Et immédiatement au lieu de dire: "Comment conserver cela?", je me suis demandé: "Comment reprosuire cela? Comment reprosuire ce coup à l'estomac? (...) Après une dizaine d'années de travail et de recherches (...)» (Mouvements, 1,86:48). |retour au texte|

 

 

28 Au structuralisme "universalisant" qu'ils reprochent à Lévi-Strauss, R. Jaulin et l'"École de Jussieu" ont toujours opposé une farouche "irréductibilité" des formations socio-culturelles. |retour au texte|

 

 

29 Cf., e.g., le choix de textes publiés sous sa direction, sous le titre Anthropologie et calcul. Paris, C. Bourgois/D. de Roux - UGÉ (10/18 - «série 7», dirigée par Jaulin) 1971. |retour au texte|

 

 

30 Auquel M. Maffesoli s'est lui-même intéressé, récemment (cf. La connaissance ordinaire. Paris, Méridiens, 1985). |retour au texte|

 

 

31 Je préviens (je veux bien qu'on m'en fasse le reproche, mais pas celui d'en être totalement inconscient) que je vais charrier particulièrement ici. Dans la "vraie vie", je ne suis ni tout à fait si méchant ni tout à fait si ignare... Je crois - par exemple - parvenir à faire une certaine différence entre forme et structure (je crois même me souvenir que Wittgenstein, non sans pertinence d'ailleurs, faisait de la première la condition de possibilité de la seconde...). Et je ne pense pas avoir spontanément tendance à favoriser le nihilisme intellectuel - ou le marshmallow comme modèle par excellence du discours...
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32 L'invention du quotidien. Tome I: «Arts de faire», Paris, UGÉ (10/18) 1980 - d'où proviennent les passages cités. Cf. également La culture au pluriel. Paris, C. Bourgois, 1980 [1974]. |retour au texte|

 

 

33 Mais également - par exemple - à la Julia du 1984 d'Orwell qui, pendant le rituel quotidien, obligatoire - et surveillé! - des «Deux Minutes de la Haine», se contentait de faire comme si... On n'a d'ailleurs, me semble-t-il, jamais porté beaucoup d'attention à cette résistance - passive, silencieuse et bien peu héroïque - de Julia (mais il n'y a pas de raison qu'elle ait été la seule dans ce cas) au totalitarisme absolu de Big Brother. Peut-être parce que les intellectuels qui se sont penchés sur la sombre anticipation d'Orwell se sont spontanément davantage identifiés à Winston Smith qui, lui, tenta de tenir tête au Système sur son propre terrain, d'avoir raison contre lui («deux et deux font bien quatre et non cinq»...) Et qui, bien sûr, fut désespérément écrasé... |retour au texte|

 

 

34 C'est moi qui souligne: je n'ai pas pu résister... |retour au texte|

 

 

35 Dans un texte encore inédit au moment ou j'écris ces pages («Mythe, quotidien et épistémologie») que je cite avec la bienveillante autorisation de son auteur. |retour au texte|

 

 

36 Précision - j'y tiens: malgré l'exemple retenu ici, je ne "vise" pas particulièrement M. de Certeau; et même, s'il y a quelque chose, lui infiniment moins que bien d'autres - dans la mesure notamment où on lui doit certaines des pages les plus sensibles, intelligentes et inspirantes sur l'infinie complexité de la "construction du réel" et, plus précisément (cf., e.g., «La rupture instauratrice»; Esprit, 39, 6, juin 1971), sur son inter-diction, - au double sens où le réel échappe à toute prétention qui chercherait à le saisir de manière réductrice (en ce sens, il nous est interdit) et ne se révèle que dans l'espèce de clairière silencieuse qui se dessine "entre" les discours - nécessairement pluriels - qui tentent de le dire (l'inter-dit de l'inter-prétation)... Mon propre discours, inutile de le préciser, n'échappe pas lui non plus à cette violence. Les épigones, c'est bien connu, sont toujours plus dangereux que les maîtres... |retour au texte|

 

 

37 M. Christian Miquel, attaché de recherche au département de sciences religieuses de l'UQAM. |retour au texte|

 

 

38 Cet ouvrage devrait paraître prochainement sous le titre: Les ruses de la technique. |retour au texte|

 

 

39 Mais bien sûr, nous structurons !... Cet article - on l'aura compris - se propose comme réflexion épistémolgique, pas comme traité de morale... |retour au texte|

 

 

40 Sur cette question évidemment beaucoup trop rapidement évoquée ici, cf. - en attendant l'ouvrage annoncé! - les réflexions de O. Spengler (e.g., Le déclin de l'Occident ), de M. Heidegger (e.g., La question de la technique ) et de D. Janicaud (La puissance du rationnel ) dont nous nous sommes en partie inspirés. |retour au texte|

 

 

41 Encore une fois, mon propos manque bien entendu de nuances. Cf. ainsi, par exemple, dans ce numéro, la fort intéressante contribution de A. Médam - sur les "grilles", justement... |retour au texte|

 

 

42 «Lorsque je travaille sur les styles de chants de la campagne, je respecte la tradition orale, mais je développe les éléments spécifiques de ces styles vocaux, je les exagère pour en faire un fait artistique expressif (...) Je pars [par exemple] d'une structure de chant de la campagne (...) mais les notes sont de la ville, sont de moi (...)» (Mouvements, 1, 86:49). |retour au texte|

43 M. Kundera, «Le rire de Dieu»; Le Nouvel Observateur, 1070 (10-16.5.1985) 64-66. |retour au texte|

 

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