mem_doum

DOUM

Brillant, généreux, discret, modeste, têtu et taquin, capable d'ironie -- où l'on pouvait parfois sentir une pointe de sarcasme --, minutieux et méthodique dans tout ce qu'il faisait.

Il faut espérer que Doum a pu enfin
trouver le repos auquel il aspirait,
un superbe samedi du mois d'avril 2001,
alors que les bernaches et les oies blanches
revenaient du Sud à plein ciel
et s'arrêtaient un moment,
elles aussi,
pour reprendre leur souffle,
sur les bords du lac Saint-Pierre.

Puissent-elles avoir transporté son timide sourire sur leurs ailes,
jusque là où le monde,
fût-ce dans l'immensité blanche du Grand Nord,
ressemble peut-être un peu plus à ce dont il rêvait.

Prozit, Doum!

Grand spécialiste des bières du monde, Doum était intarissable quand il parlait des subtilités des brunes belges, des blondes tchèques ou des rousses anglaises... Voici d'ailleurs un article qu'il avait publié il y a quelques années et dans lequel il racontait l'histoire de la célèbre Pilsner Urquell, la bière de la ville tchèque de Pilsen...

Il y a de ces moments de l'histoire qui, pendant qu'ils sont vécus, peuvent sembler futiles et sans intérêt, mais qui, par la suite, sont retenus comme des faits marquants dans la vie d'une ville, d'une région ou d'un pays. Pour la ville de Pilsen (Plzen), sise dans la région de la Bohème en République tchèque, un tel événement survient au milieu du XIXe siècle:

La création de la Pilsner Urquell, qui aura des répercussions insoupçonnées...

par
Dominic Fournier

(extrait de la revue Ça brasse au Québec (le trimestriel québécois de la bière), printemps 1998)

Première bière blonde et limpide à voir le jour, la Pilsner Urquell, du nom de sa ville d'origine, est de la race de ces bières qui marquent l'histoire. Elle sera maintes fois imitée, mais jamais égalée, la pilsner devenant le type de lager (bière de basse fermentation) le plus connu au monde.

Un peu d'histoire !

L'histoire de la pilsner est liée à la Bohème et sa tradition brassicole, dont les origines remontent à la nuit des temps. Si bien que, depuis les premières lueurs du Moyen âge, le brassage et la consommation de la bière, les Bohémiens étant considérés comme les plus grands buveurs de cette boisson per capita au monde, font partie de la culture du pays.

Les plus anciennes traces de l'usage du houblon remontent en 859. Mais, l'art du brassage est encore plus ancien. Car, à cette époque, on utilise déjà largement le blé, l'avoine, les herbes et les épices dans les décoctions bohémiennes.

En 1295, dans un geste d'une grande mansuétude, le roi Wenceslas donne à la ville de Pilsen les droits exclusifs de brassage pour la région. Ainsi naît officiellement l'art du brassage "pilsenois". Toutefois, il faut dire que la qualité de la bière produite laisse à desirer. Et la situation perdurera quelques siècles encore, jusqu'à l'avènement (au début du XlXe siècle) du procédé de fermentation à basse température, qui lance la bière de type lager.

Celle-ci fait son appantion au début du XlXe siècle, dans le Triangle d'or (le nom vient de la couleur de la bière), dont les pointes sont Vienne (Autriche), Munich (Bavière) et Prague (Bohème). Cest une véritable révolution pour les régions du triangle (pas celui du verglas, même si on y brasse de bonnes bières!), qui peuvent maintenant prétendre à la qualité des bières belges et anglaises.

Le procédé développé par la brasserie Plzensky Prazdroj s'inscrit dans ce mouvement. Il est l'oeuvre d'un brasseur allemand, Josef Groll, un réputé spécialiste de la basse fermentation, qui le met finalement au point en l842. La première bière blonde et limpide est née : la pilsner !`

Les caractéristiques particulières de la pilsner ne tiennent pas seulement à sa couleur, sa limpidité ou à sa température de fermentation, près du point de congélation. Elle est tout aussi redevableà l'heureuse combinaison des produits de la région. En effet, la pilsner de Plzensky Prazdroj, qui sera plus tard universellement connue sous le nom de Pilsner Urquell, est brassée à l'aide de l'orge de la Bohème, reputé pour sa douceur. Aussi, l'eau utilisée est trés douce et ne contient que peu de sels minéraux, ce qui permet de houblonner largement. C'est pourquoi, les houblons utilisés, de la region de Zatec (Saaz, en allemand) tout près, y jouent un rôle particulièrement important. Ils sont mis en trois fois, sous la forme de fleurs, lors de la cuisson eau-malt, donnant à cette bière un arôme des plus appétissant.

Enfin, pour permettre à chacun de ces éléments de s'exprimer à sa juste valeur, la Brasserie a recours à cinq variations d'une même souche de levure, qu'elle utilise simultanément mais séparément, c'est-à-dire dans cinq bassins différents Les produits de ces bassins sont ensuite mélangés, conférant à la Pilsner Urquell toute cette complexité des arômes et des goûts qui fait sa renommée depuis des générations.

Finalement, retrouve-t-on après deux heures et demie de cuisson, au lieu des 90 minutes habituelles (pour en assurer la clarté et la stérilisation, dit on), une pivo (bière en tchèque) tout en douceur et en finesse, complexe au nez et au goût tout en étant peu alcoolisée, soit 4,4% ou 5% alc./vol., selon qu'il s'agit de la 10 ou de la 12 à l'échelle balling, une mesure de la densité du moût se rapprochant du plato. Un produit d'une blondeur et d'une limpidité remarquables.

Dès sa lancée, la Pilsner Urquell connaît un vif succès, si bien que les années l850 voit sa conquête de l'Ouest européen, à l'exception des îles britanniques. Puis, cest l'Amérique du Nord, qu'elle atteint en 1874. En fait, aussitôt qu'en l865, les trois quarts de la production sont consacrés à l'exportation. C est ainsi qu à chaque matin, un train remplit de la douce cervoise file vers la capitale de l'empire autrichien (Vienne), alors maître de la Bohème.

Cette popularité instantanée n'est certes pas seulement due à la qualité et la nouveauté de la pilsner. Le phénomène est trop impressionnant pour le réduire au seul produit. En fait, le succès de la Pilsner Urquell est aussi tributaire de la position stratégique et économique de la Bohème. En effet, cette région est située au carrefour des univers slave et germanique. Aussi, la bière peut elle bénéficier d'un réseau ferroviaire très développé, facilitant sa diffusion. Enfin, la région connaît une émigration massive de ses habitants vens l'Europe de l'Ouest et surtout l'Amérique du Nord, qui amènent dans leurs bagages la tradition "pilsenoise".

Mais, par-dessus tout, il semble que se soit l'usage de plus en plus généralisé du gobelet en verre clair, permettant d'admirer les dessous de la pilsner, qui en fait la coqueluche de son temps, une popularité que ne se dément toujours pas aujourd'hui.

Évidemment, le succès ne va pas sans amener son lot de problématiques jusque là inconnues. Plusieurs brasseries européennes et américaines se mettront à l'heure de la pilsner pas toujours avec les résultats les plus heureux. C'est pourquoi, en 1898, la brasserie Plzensky Prazdroj fait enregistrer le nom Pilsner Urquell, d'abord pour protéger la réputation du produit face à la prolifération de pâles imitations, puis pour réserver à l'usage exclusif des brasseurs de la ville de Pilsen le mot pilsner. Car, pour les Tchèques, le nom d'une bière est lié à son lieu d'origine plutôt qu au procédé de fabrication. D'ailleurs, le mot "Urquell", en langue allemande, signifie "de la source d'origine". En cela, la demande d'enregistrement souligne qu'il est illicite d'appeler une pilsner toute bière qui n'est pas produite à Pilsen, comme il l'est tout autant de nommer une Budweiser, une pivo qui n'est pas brassée à la ville de Budweis. Ainsi, par respect, les Allemands utiliseront volontiers le vocable "pils" pour désigner les bières faites selon le procédé développé par Josef Groll. Ce ne sont pas toutes les brasseries qui auront ces scrupules!

La Pilsner Urquell, essentiellement la 10° balling, est maintenant exportée dans les quatre coins du monde. Au Québec, depuis plusieurs années déjà, on peut se procurer la Pilsner Urquell 10° (4,4% alc/vol.) dans le réseau de la SAQ. en format de 330 ml (+388900). Vivement la 12°!

Une espèce menacée?

Si depuis sa création, la Pilsner Urquell a fait l'histoire, cette demière ne manqua toutefois pas de mener la vie dure à quelques repises, notamment lors des deux conflits mondiaux et de la domination communiste des dernières décennies. Cependant, fidèle à sa tradition, elle a toujours su maintenir à la fois les standards de production, de diffusion et de qualité qui ont fait sa renommée.

Or, depuis la chute du régime communiste de Prague, et la privatisation de la brasserie qui suit, la Pilsner Urquell fait face à un nouveau péril, qui ironiquement lui permit de se maintenir jusque-là: sa popularité. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, la pilsner de Plzensky Prazdroj n a pas cessé d'être imitée depuis sa création, en 1842. Si certaines décoctions se revélèrent de bonne qualité, d'autres donneront naissance à des versions connues de la lager, pâlottes, insipides et sans arrière-goût, telles les bières light et dry.

Cependant, ces considérations sont mineures par rapport à l'avenir même de la Pilsner Urquell qui, contrainement à sa robe, semble quelque peu troublé et confus. En effet, les impératifs de la productivité, qui balaient toutes les sphères de l'économie mondiale, ne semblent pas vouloir épargner cette Institution. Ainsi, d'énormes bassins cylindro-coniques en acier inoxydable (stainless steel), d'une capacité 800 à 3600 hectolitres chacun, sont venus remplacer le millier de reservoir, de contenance plus modeste (30 hectolitres chacun), faits de chêne bohémien et oeuvrant à ciel ouvert. ll en résulte une fermentation plus violente du moût, qui perd ainsi quelque peu de son caractère et de sa subtilité. Surtout que, maintenant, on ne peut qu'utiliser deux variations de la levure, au lieu du "quintette" d'origine.

Bien que le temps de garde de la pivo soit demeuré le même, environ 70 jours, on ne peut en dire autant du procédé de garde, qui a relégué au musée les quelques 3500 bassins horizontaux de vieillissement, de même capacité et du même bois que les "fermenteurs", pour les remplacer par des réservoirs en acier inoxydable plus faciles à nettoyer.

Est-ce dire que la Pilsner Urquell a été sacrifiée sur l'autel de la productivité? Pas tout à fait. Les dirigeants de la brasserie, conscients du joyau qu'ils avaient entre les mains, ont tout fait pour préserver la qualité du produit. Mais, il n'en demeure pas moins que la Pilsner Urquell d'aujourd'hui, bien qu'elle demeure une excellente bière, n'est plus ce qu'elle était, c'est-à dire un produit au caractère distinctif, alliant la complexité et la subtilité des arômes et des saveurs.