1. Ce qu'on appelle le sacré est une expérience marquante, fortement émotive du TOUT AUTRE (i.e. de ce qui est totalement «autre» par rapport à notre expérience habituelle).

N.B. Cela est important pour ne pas qualifier n'importe quoi de sacré.

2. De ce fait, c'est une expérience AMBIVALENTE, à la fois fascinante-attirante et terrifiante-repoussante.

3. Ce sacré «tout autre» est expérimenté comme étant la SOURCE -- de la VIE, de l'ÊTRE, du SENS, etc.

4. De ce fait, la sacré est expérimenté comme beaucoup plus vitalement important que le PROFANE, i.e. que la vie «ordinaire» (métro, boulot, dodo...)

5. Paradoxe: ca sacré «tout autre» est néanmoins expérimenté comme se manifestant, comme faisant irruption dans NOTRE monde (profane). (Eliade: HIÉROPHANIE).

Le sacré prend alors la «forme» de quelque chose qui appartient à ce monde:

- un phénomène naturel (volcan, etc.)

- un événement (ex.: survivre à un accident d'avion)

- un être humain hors du commun (grand chef, Jésus, etc.)

- un animal (lion, serpent, etc.)

- un lieu (sommet d'une montagne...)

- un objet (ka'aba, bouteille de Coca Cola du petit bochiman, etc.)

6. En outre, et dans la même veine, l'expérience du sacré se dit de manière essentiellement poétique (et non «scientifique»), analogique (ex: le feu qui purifie... Dieu le «père»...), symbolique.

7. C'est autour de ces hiérophanies que se mettent peu à peu en place les RELIGIONS, les institutions religieuses qui sont les gestionnaires du sacré.

N.B. Ainsi, au sens large, tout ce qui gère le sacré peut être dit religieux même si cela va au-delà du sens courant du terme (ex.: le parti communiste soviétique de jadis...)

8. Les «religions», en ce sens, vont élaborer

- des RÉCITS (mythes) (racontant les hiérophanies)

- des RITES (manières de gérer le sacré) et des spécialistes de cela (prêtres, etc.)

- des RÈGLES (morales) (indiquant les conséquences pour l'agir).

9. Ces institutions (religieuses) ont un peu la fonction d'une digue: elles endiguent, enchaînent le sacré, l'empêchent d'être destructeur, mais permettent aussi d'y avoir accès de manière bénéfique.

En temps normal, donc, la sacré est INTERDIT d'accès (parce que trop puissant, dangereux, encombrant). Mais, de manière ponctuelle, parce que c'est aussi la source de tout, il faut bien y avoir accès -- donc, TRANSGRESSER cet interdit habituel.

10.En général, ces transgressions se font de manière ritualisée, selon des façons de faire prévues, avec l'aide de «spécialistes» (ex.: la fête... le carnaval...)

11. Mais il y a aussi, dans certains contextes, des expériences SAUVAGES du sacré (i.e. hors des balises des institutions, des rituels, etc.). De telles expériences sauvages du sacré sont bien sûr souvent destructrices pour ceux qui s'y adonnent (ex.: certaines expériences contemporaines de drogue). Mais elles peuvent aussi être instituantes, donner lieu à de nouvelles institutionalisations du sacré (ex.: le tamtam de la montagne...)

12. Jadis, la NATURE était le lieu privilégié des hiérophanies (ciel, orages, éclairs, etc.). Pour nous, la culture (et les constructions culturelles de l'humanité) deviennent davantage le lieu des hiérophanies (ex.: la science et la rationalité technique...) même si les Occidentaux contemporains conservent une certaine disponibilité à des formes de hiérophanies plus «naturelles» (ex.: la beauté d'un paysage...)

13. Les grands moments (PASSAGES) de la vie humaine ont toujours été et demeurent des zones privilégiées de hiérophanies (naissance, croissance mort, sexualité, souffrance...)

14. Les hiérophanies sont souvent -- mais pas toujours -- des KRATOPHANIES, i.e des manifestations de la puissance du sacré (ex.: volcan... mais aussi: Hitler, bombe A... méga concert rock...) Il y a cependant aussi des formes beaucoup plus «douces» et discrètes de hiérophanies.

15. Le fait que les institutions religieuses qui géraient traditionnellement le sacré (Églises, etc.) aient perdu de leur ascendant sur l'Occident contemporain ne signifie PAS du tout pour autant que le sacré ait dépéri.

Mais l'expérience contemporaine du sacré devient plus éclatée et flottante, décrochée des institutions, labile (changeante, mobile), tribale (il existe plusieurs sacrés très différents au sein d'une même société; la sacré des uns n'est pas celui des autres...) De ce fait, et pour le meilleur comme pour le pire, elle est souvent moins contrôlée (et plus sauvage) que dans les sociétés plus traditionnelles.

16. Selon plusieurs théoriciens contemporains (ex.: Lyotard), cet éclatement serait caractéristique de la POSTMODERNITÉ. Autrement dit, le sacré demeurerait, mais il faudrait renoncer à le chercher uniquement dans les grands mythes et les grandes institutions religieuses qui le portaient jadis. Dans un tel contexte, pour savoir repérer le sacré à notre époque, il importe d'élargir son regard à l'ensemble de la culture.

17. Sousestimer (plus ou moins consciemment) l'expérience du sacré peut conduire à un aplatissement de la vie humaine (ex: rationalisme, positivisme...); surestimer (plus ou moins consciemment) l'expérience du sacré peut conduire à un envoûtement de la vie humaine (ex.: dérapages ésotériques...)

18. Une des originalités de la tradition issue de la Bible (judaïsme, christianisme, islam, mais aussi, sous sa forme sécularisée: pensée politique occidentale, libéralisme, marxisme, etc.) a été de contribuer à DÉSACRALISER le monde (même si la tendance sacralisante s'y est toujours maintenue). À la limite, le seul sacré demeure l'être humain et le rapport éthique que celui-ci entretient avec ses semblables...

G.M. 01.97

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