technoritualités
Congrès de l'Acfas,
Université de Sherbrooke, 14 et 15 mai 2001
De l'abandon dans le rave à l'abandon du rave
Gaëlle Bombereau,
doctorat en en sociologie (U. de Paris V-Sorbonne) et en sciences de
l'éducation (U. Laval)
Appréhender les soirées techno comme un rite de passage vers les prémisses du statut d'adulte est plus que légitime. Que l'on se rapporte aux travaux de Van Gennep ou d'autres anthropologues, force est de constater que toute une initiation se joue dans ces soirées. Le terme " jouer " semble ici d'autant plus adéquat que les ravers vont faire l'apprentissage d'un " je " de manière ludique, dans une réalité en parallèle du monde social. Suite à l'analyse du quotidien des ravers, nous pouvons avancer que l'espace-temps du rave se présente comme le miroir inversé du quotidien. Derrière la transfiguration du banal, l'idéalisation et l'esthétisation de la sphère festive, les participants font l'expérience de la vie sociétale, en terme d'essai. En se confrontant à ce qu'ils fuient ou refusent dans le quotidien, tout un processus initiatique est enclenché. Le retrait du monde techno, aussi douloureux soit-il après plusieurs années de sa fréquentation, est rendu possible par une transformation du regard. D'une représentation idéalisée et idéalisante de la fête, à l'intériorisation d'une vision négative, l'arrêt de la fréquentation de ces soirées se fait par l'acceptation du regard instituant. À partir de là, il sera possible d'éclairer la mise en ordre du monde qui s'opère dans l'euphorie de ces soirées mais également le nouveau schème classificatoire nécessaire et " salutaire " pour se retirer de cet univers " ensorceleur ".
L'ouvrage sonore.
Pour une interprétation du phénomène acoustique
comme expérience totale
Éric Boulé, doctorat en sociologie, U. de Montréal
Cette communication se présente comme un essai de problématisation autour du rapport humain et social au son comme phénomène non seulement acoustique mais également comme expérience totale. Il se propose ainsi d'offrir une tentative moins clinique que phénoménologique d'observer principalement l'influence que peuvent avoir la diffusion et les propriétés qualitatives de la matière sonore sur le corps et l'esprit. De cette observation on arrive non seulement à postuler l'existence effective d'une détermination mais aussi l'émergence d'une communauté de sensation. Celle-ci témoigne vraisemblablement de la constitution informelle d'une communauté de compréhension resserrant ses liens multiformes autour du partage d'une vision du monde qui pourrait bien être sonore.
Le phénomène rave : développements historiques et profils culturels
François Gauthier, maîtrise en sciences des religions, UQÀM
Que signifie le rassemblement de centaines æ voire de milliers æ de jeunes dans ces replis festifs de la nuit que l'on appelle les raves ? Que représente cette effervescence de corps dansant jusqu'à l'exténuation, sous les assauts d'une musique muette en paroles ? Forcément quelque chose. Afin de permettre une meilleure appréhension des communications du colloque Technoritualités, qui vise à répondre à ces questions, cette communication tente de cerner le phénomène rave dans son évolution historique et dans sa diversité socio-culturelle. Elle tente par là-même de répondre à quelques questions préliminaires et de confronter certaines idées reçues véhiculées par les médias.
Technoritualités postmodernes : un regard religiologique
François Gauthier, maîtrise en sciences des religions, UQÀM
Cette communication vise à éclairer le phénomène rave à la lumière des grandes catégories et des principaux outils conceptuels de l'anthropologie religieuse -- le sacré, le rituel, le mythe, etc. Elle s'arrête en particulier au caractère festif déterminant de ce phénomène, dans lequel Roger Caillois (1950) voyait l'essence même de l'expérience transgressive du sacré. Elle s'interroge également sur les nouvelles valeurs -- éthiques -- que le rave contribue à diffuser dans la société, notamment celles qui forment l'acronyme anglais PLUR -- Peace, Love, Unity, Respect : celles-ci rappellent significativement le mouvement hippy des années soixante et sont intimement associées à la culture rave. Elle tente enfin de voir dans quelle mesure le phénomène rave peut être interprété avec fécondité au moyen de certaines théorisations actuelles des sciences de la religion (par exemple, la théorie des " déplacements du sacré ", la notion de " religion implicite ").
Les mystiques juvéniles : du rock au rave
Denis Jeffrey, faculté des sicences de l'éducation, U. Laval
Le rituel du rave met en scène des pratiques de transe et d'extase -- notamment par la danse, la perception de rythmes musicaux répétitifs et la consommation de drogues -- qui s'apparentent aux happenings psychédéliques (Timothy Leary), au Woodstock de 1969, aux danses disco, aux concerts punks des années 1970, et finalement aux shows androgynes des années 1984 (par ex. Boy George). D'emblée, on voit qu'il y a une continuité dans la demande de climats éclectiques favorisant le " trip ", le " coma existentiel " et les conduites paroxystiques conduisant bon nombre de jeunes dans des états de " sensibilité altérée ". Comment expliquer ce " désir " d'extase et de transe ? Cette quête de " trip " a-t-elle à voir avec l'acte transgressif ? Faut-il comprendre l'extase et la transe comme exutoire et inhibition pour réaliser des satisfactions substitutives aux déficiences du lien social ? Pour Bataille, la transgression n'est nulle part aussi immédiatement présente que dans les expériences de type érotique, mystique et esthétique. La psychanalyse, sans sousestimer la notion de transgression, va cependant attirer l'attention sur celle de régression. Y aurait-il parenté d'expériences entre la transgression et la régression ? En examinant la spécificité de chacune de ces notions et du champ d'expérience qu'elles balisent, nous nous emploierons à établir un cadrage conceptuel pour analyser ce culte de l'extase et de la transe qu'est le party rave.
Le rave : transformations de soi et expérimentations relationnelles
Jean-Ernest Joos, département de philosophie, UQÀM
On prend pour hypothèse que le phénomène techno relève de la drogue, dans la mesure où la musique répétitive, avec ou sans support chimique, modifie la perception de l'espace et du temps, et plus profondément la perception subjective de soi dans le temps et l'espace. On montrera à partir de là que cette transformation de soi devient le lieu d'expérimentation de relations nouvelles aux autres. Contrairement à l'idée répandue que les raves, ou tout rassemblement autour de la techno, appartiennent à l'ordre de la fête ou de la communauté, il s'agirait plutôt ici de formes nouvelles de relations créées à partir de la circulation du plaisir et la reconnaissance du plaisir partagé à l'intérieur de groupuscules qui se greffent les uns aux autres en réseaux. Le sentiment commun d'appartenance n'est donc que l'ouverture du soi qui actualise l'espace de l'expérimentation du communautaire. Le point commun à la transformation de soi et à l'expérimentation relationnelle est l'expérience de l'indéfini, de la non-limite, qui lève momentanément les frontières du corps, de la subjectivité et celles des contraintes sociales.
Hip-hop et techno : du jam au rave
Myriam Laabidi,
doctorat en en sociologie (U. Paul-Valéry, Montpellier) et en
sciences de l'éducation (U. Laval)
Nous assistons actuellement à l'émergence d'une multitude de cultures urbaines. Deux d'entre elles sont fortement appréciées par la population jeune : la culture hip-hop et la culture techno. Des convergences les apparentent, mais des divergences les singularisent. Ces cultures urbaines sont constituées l'une et l'autre d'un système de valeurs et d'habitudes bien spécifiques. Le réseau de communication, dont les moments forts sont les rencontres en soirées ou en concerts, impliquent une éthique que nous devons examiner. L'importance de ces rassemblements (jams pour le hip-hop, raves pour la techno) est capitale pour la pérennité du mouvement. Les jam-partys se déroulent souvent autour d'un show-case (petit concert qui fait la promotion d'un groupe de rap) ou d'un concert prévu à l'avance. Les rave-partys, pour leur part, ont la particularité d'être généralement annoncées seulement 24 ou 48 heures à l'avance, et sans même que soit immédiatement connu le lieu de rassemblement. Même si le concept de " fête " reste le point commun le plus important pour ce type de manifestation culturelle, de multiples différences persistent encore -- et même s'amplifient -- quand il s'agit de comparer les cultures urbaines au Québec et France.
Le rave, défi aux sciences de la religion
Guy Ménard, département des sciences religieuses, UQÀM
Qu'ils se situent à l'intérieur de la " scène " rave ou qu'ils scrutent celle-ci avec un regard plus distancié, pratiquement tous les observateurs ont signalé l'essence profondément festive -- et, de ce fait, largement transgressive -- du phénomène. Par là-même, ces lectures ont pointé du doigt une virtualité éminemment religieuse du rave, au sens séminal des théorisations de Durkheim et de tout le courant socio-anthropologique qui s'en est inspiré depuis un siècle (Hubert et Mauss, Bastide, Caillois, Bataille, Maffesoli, etc.). À ce titre, le phénomène rave sollicite bel et bien le regard des sciences de la religion, provocant leur capacité de saisir la dimension authentiquement religieuse de ce " bouillon de culture " et des nouveaux visages qu'il génère. Ceux-ci sont assurément fort différents des formes historiques et traditionnelles de la religion -- à l'étude desquelles les sciences " religieuses " universitaires demeurent encore largement vouées. L'interpellation est d'autant plus grande que le phénomène en question concerne d'abord et avant tout des -- jeunes -- générations qui sont largement exilées de ces formes religieuses traditionnelles, et dont le vécu demeure le plus souvent aussi étranger qu'impénétrable aux praticiens universitaires des sciences humaines. On comprend de ce fait que l'étude d'un tel phénomène se présente comme un véritable défi à la recherche universitaire -- y compris à celle qui s'intéresse au phénomène religieux dans la culture actuelle.
Musique techno et postmodernité
Anne Petiau, doctorat en
sociologie,
Centre d'études sur l'actuel et le quotidien (CÉAQ), U.
de Paris V (Sorbonne)
Cette communication entend interroger la validité de l'hypothèse postmoderne pour l'étude de la musique techno. La réflexion postmoderne relève la désaffectation du projet moderne et de ses idées-forces (Progrès, Raison, Histoire) dans les sociétés occidentales contemporaines ; elle porte son attention sur la complexification du social et la recrudescence de valeurs et de comportements qui étaient déjà présents au sein de la modernité mais, pour ainsi dire, au second plan de la scène sociale. À la lumière de ces réflexions, un large pan de notre objet prend sens, et notamment la pluralité constitutive de la musique techno (le terme générique techno recouvre une pluralité de genres et de vécus différents du fait musical), les pratiques artistiques telles que le mixage, l'échantillonnage et l'utilisation des machines dans la composition, les caractéristiques du fait musical techno lui-même, telles que la structure répétitive et la non-narrativité.
L'univers rave ou la fragmentation expérimentée
Caroline Proulx, maîtrise en études littéraires, UQÀM
Notre recherche a pour but de démontrer que l'univers du rave est un lieu d'expression et d'expérience fragmentaires. Par fragmentation, nous entendons ici toute forme ou expression relevant une discontinuité allant jusqu'à l'éclatement, en opposition avec la linéarité et l'homogénéité. En partant du point central de l'expérience rave et de sa quête ultime (et quasi mystique) du retour à un mythe fondateur -- l'extase --, nous développons tout le rapport de l'être au temps à travers ce phénomène social contemporain. Nous allons montrer que la recherche de l'effet extatique est en fait un moyen pour le sujet participant de sortir de lui-même et de se placer, par le fait même, hors du temps -- le temps dit " vulgaire " par Heidegger. C'est d'abord à partir de ce temps -- aboli, en quelque sorte -- et des enjeux qui en découlent que nous verrons en quoi le rave relève de la fragmentation. Fragmentation, ici, comme forme, mais aussi -- et surtout -- comme vision du monde en rupture avec l'esprit classique de la modernité, permettant une nouvelle voie de compréhension ontologique et mondaine.
Mutations carnavalesques : le rave à la lumière du carnaval brésilien
Bernard Schütze, doctorat en communications, U. Concordia
Cette communication présente une analyse axée sur une compréhension du phénomène rave dans ce qu'il comporte de carnavalesque. C'est à partir d'une comparaison du rave avec le carnaval brésilien que nous tenterons de faire ressortir un vecteur carnavalesque qui le traverse. Le carnaval brésilien et le rave sont ici considérés comme des machines de déplacement complet du quotidien vers un autre domaine -- l'espace et le temps festif. Tandis que, dans le carnaval brésilien, ce déplacement est étroitement liée a un contexte d'oppression et d'inégalité sociale, le rave inverse la technologie instrumentale pour en faire un instrument (au sens ludique) de jouissance. Dans les deux cas le carnavalesque opère comme un processus radical qui permet d'instaurer une intensité vibratoire (musique, danse, drogue) des jeux de transformation (déguisements, délire vestimentaire) et d'inversion (inversion du quotidien, de la nuit et du jour, du temps mesuré et la démesure du temps) et de la vibration festive (danse, musique, sensualité).
Le rave : quand l'action induit la pensée
Marie-Jill Trudeau, maîtrise en anthropologie, U. de Montréal
Cette recherche s'inscrit dans le contexte montréalais et privilégie une approche ethnographique du phénomène rave en se fondant notamment sur la notion de cosmologie. Par là, il y a lieu d'entendre les nombreuses conceptions dont dépend la société avec ses codes légaux, ses conventions politiques, ses relations de classes sociales, tout comme les croyances religieuses concernant les dieux et les êtres surnaturels Une étude préliminaire de la cosmologie du rave, en relation avec ses deux acteurs principaux -- DJs et participants -- nous permettra de postuler sur la pertinence d'associer le rave à la notion anthropologique de rite. Nous désirons donc interpréter le système de communication symbolique, construit culturellement, que met en scène le rave. La construction cosmologique est incrustée dans le rave et ce dernier, en retour, promulgue et incarne ces conceptions cosmologiques. Nous cherchons à émettre ce qui résulte de cette communication où l'utilisation de certains médiums est privilégiée. Ainsi, nous favoriserons l'approche performative du rituel afin de démontrer que les considérations culturelles sont intégralement impliquées dans la forme que prend le rituel et qu'un mariage de la forme (analyse formelle) et du contenu (explication culturelle) est essentiel pour l'action rituelle performative qu'est le rave. Enfin, nous verrons qu'il s'agit bien davantage, pour les participants, d'un état de conscience altéré, mais surtout contrôlé.
Récits des origines du rave -- ou genèse d'une tribu
Robert Verreault, doctorat en sciences des religions, UQÀM
Lorsque l'on tente de pencher sur le développement du mouvement rave, on constate rapidement la coexistence de deux types de discours en apparence incompatibles. Le premier de ces discours tente de répondre aux exigences de rigueur de la tradition historique occidentale. Il fait d'abord appel au contexte sociologique et économique du début des années 1980 pour expliquer l'émergence d'un nouveau type de musique sur la scène américaine (à Détroit et Chicago, tout particulièrement) ; il évoque ensuite l'impact de ce genre musical sur les jeunes Britanniques qui ont grandi sous l'ère Thatcher pour décrire l'émergence progressive d'une nouvelle sous-culture comportant ses propres codes, ses valeurs, ses idéaux. Le second de ces discours, que l'on peut sans peine associer à la notion de micromythologie, relève davantage de la filiation symbolique et inscrit plutôt le rave dans une tradition transgressive et festive qui va d'Ibiza à Gao ou Woodstock, et qui fait du LSD cher à Timothy Leary l'ancêtre de l'ecstasy. Certains établissent même un lien direct avec les soirées clandestines du temps de la prohibition américaine. Ces deux discours -- qui, d'ailleurs, parfois s'entremêlent -- se révèlent en fait complémentaires. Ils permettent, lorsqu'on les renvoie l'un à l'autre, non seulement de mieux comprendre l'" idéal rave " mais aussi de mettre en lumière la contribution du récit mythique à l'élaboration du sentiment d'appartenance à une collectivité.