Religiologiques, no 10

Numéro dix
éditorial en forme de dédicace


Numéro dix. Petite étape symbolique, léger ouf! de soulagement... Cinq ans après sa naissance, dix numéros thématiques, une centaine d'articles, et plus de deux mille pages plus loin, Religiologiques n'a - qu'on se rassure - ni le goût de pavoiser en se pétant bruyamment les bretelles, ni celui d'emprunter son miroir à Marguerite pour s'y admirer avec complaisance. On comprendra en revanche qu'elle soit heureuse et fière d'offrir à ses lecteurs et à ses lectrices ce dixième jalon de son encore jeune histoire, qui porte - on aurait presque envie d'y voir un clin d'oeil - sur l'actualité du mythe.

Ce numéro, Religiologiques souhaite le dédier à tous ceux et celles qui, de quelque manière, depuis cinq ans, ont contribué à rendre cette aventure possible - et passionnante. On ne nous en voudra pas - une fois par demi-décennie n'est pas coutume! - de les évoquer avec quelque détail:

- les auteur-e-s bien sûr, en tout premier lieu, stars et néophytes, jeunes et vieux routiers, du Québec et d'ailleurs, praticiens des sciences religieuses ou d'autres horizons des sciences humaines, qui ont accordé leur confiance à une «jeune» revue en lui confiant des textes de grande qualité, dans lesquels ils et elles ont mis ce qu'ils avaient de meilleur; qui ont en outre acquiescé, ce faisant- même sans forcément en connaître tous les tenants et aboutissants -, à l'intuition que cette revue a voulu promouvoir en choisissant son nom;

- les responsables de numéros qui ont piloté l'élaboration de ceux-ci, sollicitant des collaborations de part et d'autre de l'Atlantique, jouant du charme - ou tordant doucement quelque bras! - à l'occasion, encourageant souvent et rappelant parfois les échéances, réunissant ainsi d'excellentes contributions autour de thèmes dont la diversité illustre déjà avec éloquence la richesse de cet «objet religieux» auquel la revue a voulu s'intéresser;

- les collègues spécialistes de nombreuses disciplines qui, dans l'austère gratuité de l'anonymat, ont accepté d'évaluer les manuscrits qui leur étaient soumis, contribuant par là à faire de Religiologiques une publication de véritable calibre universitaire;

- les membres de son Comité de rédaction et de son Conseil scientifique international qui, en plus d'oser associer leur nom à cette publication «en émergence» et de cautionner celle-ci de leur notoriété, n'ont pas manqué, au fil des ans, de lui manifester leur appui en lui faisant part de leurs suggestions et de leurs critiques; et, parmi ceux là, on nous permettra de mentionner avec une émotion particulière le nom du regretté Louis-Vincent Thomas, disparu beaucoup trop tôt: nous aurions eu encore besoin de lui;

- les abonnés de Religiologiques, et ses lecteurs plus occasionnels qui, en ces temps de restrictions budgétaires où l'on devient circonspect dans ses dépenses et parcimonieux dans ses engagements financiers, ont tout de même cru assez à cette revue pour... l'acheter! Et démontrer par ce geste-même - n'est-il pas, par rapport à la diffusion du savoir, l'équivalent du vote pour la démocratie? - leur foi dans la pertinence de ce projet;

- les responsables de la Fondation Gérard-Dion qui, dès le départ, on offert à la revue un appréciable coup de pouce financier sans lequel celle-ci aurait eu bien du mal à prendre son envol;

- les membres du Comité des publications de l'UQAM qui, depuis trois ans, ont reconnu les efforts de Religiologiques pour produire une revue de recherche originale, crédible et de haute tenue, lui réitérant le soutien moral et l'appui financier de l'Université;

- la directrice et le Service des publications de l'UQAM, dont l'expertise, l'appui moral et le soutien technique continuent d'être plus que précieux;

- les collègues du département des sciences religieuses qui ont appuyé Religiologiques comme un nouvel outil destiné à accroître la visibilité des sciences de la religion dans le monde du savoir universitaire et à favoriser la diffusion de la recherche sur les innombrables facettes de l'objet religieux;

- l'Association des étudiant-e-s avancé-e-s en sciences des religions de l'UQAM qui, en dépit de ressources modestes, a malgré tout investi dans la revue depuis ses débuts, y voyant un signe du dynamisme de notre discipline et un précieux outil d'apprentissage du métier de chercheur;

- la Société québécoise pour l'étude de la religion, née au même moment que Religiologiques - et d'un dynamisme apparenté -, qui a accepté d'offrir à ses membres la possibilité de s'abonner à la revue par son entremise;

- le Groupe d'études et de recherches sur la formation (GERFO) de Strasbourg, et notamment son responsable, M. T. Goguel d'Allondans, qui a gracieusement accepté de servir d'«antenne européenne» à Religiologiques, facilitant notamment les contacts avec les abonnés européens;

- les artisans de l'imprimerie et de la fabrication qui, pour citer librement le mot heureux d'une collègue philosophe (comme on l'était encore au temps de Benjamin Franklin et de Camille Desmoulins - c'est-à-dire, mâtiné d'imprimeur!), ont fait en sorte que... la colle des numéros tienne aussi bien que leur contenu...

On me permettra par ailleurs de mentionner d'une manière singulière les membres de l'équipe de production de Religiologiques, dont le nom apparaît discrètement au début de chaque numéro et qui, bon an mal an, assurent depuis cinq ans la saisie des textes et les retouches des manuscrits, la correction des épreuves et les choix iconographiques, la traduction des résumés ainsi que les démarches en vue de la fabrication, de la diffusion et de la publicité; bref, tout ce que, parfois avec une certaine hauteur - ou juste avec une inconscience un peu angélique -, on considère souvent comme de la «cuisine». Reconnaissons pourtant qu'on serait assez embarrassé, «au salon», si l'office en venait à rendre son tablier... Ces tâches «de coulisses», effacées et souvent ingrates, sont au demeurant d'autant plus méritoires que ceux et celles qui les assument - la plupart du temps gratis pro Deo - sont presque tous, eux aussi, des chercheurs astreints à la tyrannie du «publish or perish» - et qui pourraient donc se contenter de publier leurs articles plutôt que de consacrer du temps à éditer ceux de leurs pairs.

Parmi ceux-là, on me permettra de signaler tout particulièrement les noms de ceux et celles qui ont assuré, souvent depuis le début, le quotidien de Religiologiques: Sylvie Samson, secrétaire de la revue, dont l'esprit d'initiative et le perfectionnisme ont donné à celle-ci, malgré des moyens techniques extrêmement modestes, une allure réellement professionnelle; Jacques Pierre qui, entre autres nombreux mérites, a toujours eu celui d'être loyalement et efficacement là quand il le fallait; Mathieu Boisvert, plus récemment associé à l'équipe, mais résolument branché sur Internet!, et sur qui nous comptons pour... ne pas être les derniers à relever les défis de l'«autoroute électronique»; Jean-Jacques Dubois, Manon Lewis et Denis Jeffrey, qui ont été parmi les pionniers du jeune programme de doctorat en sciences des religions de l'UQAM, et qui ont aussi été associés à la revue depuis l'époque où celle-ci n'était encore qu'un «beau rêve», auquel il fallait être un peu fou pour croire. Mais ceux-là, comme disait l'autre, ne savaient pas que c'était impossible. Alors, ils l'ont fait! Jean-Jacques Dubois, dont l'indépendance d'esprit et la calme intransigeance ont, plus souvent peut-être qu'il ne le pense, servi de «chien de garde» à la revue et à sa direction, rappelant constamment à celle-ci l'originalité de sa raison d'être et de ses utopies fondatrices; Manon Lewis qui, seule au début, à la tête d'une valeureuse petite équipe d'étudiants par la suite, a été l'impitoyable «grammairienne» de la revue, procédant à une rigoureuse toilette des articles, débarrassant ceux-ci de leurs scories et de leurs coquilles, complétant ici une référence oubliée, rectifiant là, avec tact, une citation approximative - ou un accord de participe malmené; et ce, par pur goût de «la belle ouvrage»; Denis Jeffrey, enfin, dont l'audacieuse vision, l'enthousiasme communicatif, l'énergie débordante, l'intarissable inspiration et la rare générosité ont - et c'est encore une litote - permis à ce rêve de se réaliser sans qu'il cesse pour autant d'en être un...

Ces trois fondateurs de la revue, comme bon nombre d'auteurs dont Religiologiques a eu le plaisir et l'honneur de publier les articles, appartiennent à une génération qui, souvent, rend mal à l'aise celle des «Ph.D. boomers lyriques» - la mienne en l'occurrence, qui sature largement, à l'heure actuelle, l'espace institutionnel du savoir patenté. Bardée de doctorats et de prestigieux postdocs, souvent d'une productivité et d'une polyvalence à faire rougir bien des «seniors», cette génération se heurte, on le sait, aux portes closes - ou si chichement entrebâillées - des institutions d'enseignement et des organismes d'aide à la recherche, qui parviennent de moins en moins à lui faire une place. Ou, plus exactement, à lui reconnaître, en espèces plus sonnantes que trébuchantes, celle qu'elle s'est elle-même largement méritée. L'un des collaborateurs de ce numéro me confiait, avec un mélange d'humour espiègle et de lucidité un peu désespérée - on eût pu, en vérité, imaginer Mozart avec un tel sourire -, qu'il gagnait sa vie, de ce temps-là, comme plongeur dans un MacDo. D'autres ont dû s'expatrier pour trouver du travail, faire le deuil de la «carrière» à laquelle ils se préparent depuis plus de vingt ans, et même renoncer à mettre le pied dans l'engrenage - pourtant bien précaire lui-même, Dieu sait - des charges de cours et des «petits contrats» universitaires. À l'image de la société en général, le monde universitaire offre hélas de plus en plus, lui aussi, le profil troublant d'une machine à deux vitesses, d'une universitas coupée en deux. Il le paiera peut-être cher.

Religiologiques, depuis sa naissance, a tout au moins souhaité reconnaître et accueillir la contribution inestimable de ces authentiques collègues - fussent-ils sans titre, sans poste et sans fonds de pension: c'est pourtant largement grâce à eux que, même hors des faculty clubs et des track tenure jobs, se renouvelle encore aujourd'hui le savoir universitaire. Et que celui-ci, pour évoquer Nietzsche une fois de plus, parvient encore parfois à être gai.

Si cette jeune revue a quelque valeur - et on espérerait seulement pouvoir laisser au temps la redoutable tâche d'en juger -, c'est sans doute en bonne partie parce qu'elle aura eu l'intuition d'accueillir ceux-ci en pairs, à côté de leurs aînés, dans la maison inégalement chauffée - mais utopiquement commune. Qu'ils et elles sachent au moins à quel point nous leur sommes obligés de leur énergie, de leur honnêteté, de leur inspiration et de leur courage.

Le directeur de Religiologiques