LES DEUX CHATS BLANCS
DE WANGEN

 

La légende des deux chats blancs de Wangen est bien connue en Alsace.

Nombre d'habitants de la vieille ville ont aperçu les félins qui, soudain, surgissent du néant lorsque sonne l'angélus.

 

Ils sont assis sur le mur du cimetière, silencieux, avec leurs yeux énormes qui scintillent dans l'obscurité naissante. Ils restent là, immobiles, comme si le temps ne comptait pas pour eux. Curieusement, tous les lives de contes parlent de nos chats, mais jamais ils ne vous expliquent la raison de leur présence.

L'affaire remonte à l'année 1643. L'Alsace est alors plongée dans l'effroyable guerre de Trente Ans. Cette année-là une troupe de soldats français s'est installée dans le château de Wangen. La nourriture, qui était déjà rare depuis que cette longue guerre s'était ouverte, devint encore plus rare. Et pourtant, ce n'est pas le grain qui manquait. Les soldats avaient pillé tous les villages environnants, enlevant aux habitants leurs stocks de céréales. À Wangen tout ce butin fut amassé dans les greniers du château; malheureusement les grains étaient réservés aux soldats et les pauvres gens commençaient sérieusement à souffrir de la faim.

À l'époque habitait devant la porte basse de la ville un vieux couple, on le disait quelque peu magicien. Le Schultheiss [maire] alla le trouver pour lui demander conseil; que faire devant tant d'injustice et de misère? Le vieil homme écouta longuement les doléances, puis rassura le responsable de la ville:

-- Bientôt vous verrez une armée de souris se répandre en ville. Ne faites rien. Toutes cs bêtes seront là pour vous aider. Revenez dans huit jours et vous aurez tous les grains nécessaires!

Dès le lendemain le commandant des troupes vint se plaindre chez le Schultheiss: nous sommes envahis par une armée de souris et ces bestioles mangent notre grain. Il faut que les habitants se mobilisent et organisent la chasse.

Le brave Schultheiss n'en eut cure. Il fit semblant d'ameuter toute la population, en ayant bien soin de prévenir les chasseurs:

-- Faites semblant, mais laissez faire les rongeurs.

Et en quelques jours cette invasion de souris eut raison des grains stockés dans les greniers du château. C'est comme si une nuée de sauterelles s'était abattue sur les champs. Il ne restait plus un grain pour la troupe. Aussi les soldats quittèrent sur-le-champ la ville pour se chercher d'autres quartiers d'hiver.

Le Schutlheiss, les huit jours passés, retourna auprès des magiciens pour réclamer le grain promis. Le vieil homme appela son épouse et accompagné du maire ils se glissèrent le long des enceintes jusqu'à une sombre tour d'angle. Par une porte placée tout en haut, et qu'il était possible de gagner par une échelle posée là, tous trois entrèrent dans le bastion. C'était une pièce nue, un plancher de bois couvrait le sol. Le magicien souleva alors une trappe et sous l'oeil ébahi du Schultheiss apparut une montagne de grains. Mais tout autour des centaines de souris veillaient.

L sage expliqua alors au Schultheiss que les rongeurs avaient simplement «déménagé» le grain depuis les greniers du château en cette tour et qu'ils entendaient bien en profiter tout au long de l'hiver qui s'annonçait rude. C'était, évidemment, mal connaître le magicien. À l'instant, devant le Schultheiss, le couple se transforma en deux chats blancs, énormes. Ils se mirent à poursuivre avec une telle rage les souris que celles-ci se sauvèrent sur-le-champ en une fuite éperdue.

Du coup les gens de Wangen eurent tout le grain nécessaire pour manger à leur faim tout au long de l'hiver.

Quant aux magiciens, ils disparurent à la même époque. Mais c'est à partir de là que, de temps en temps, les habitants aperçurent les deux chats blancs.

Ils veillent, dit-on, pour que les habitants de la ville ne connaissent plus jamais la famine et leur apparition est signe de bonheur car tous savent que les vieux magiciens continuent de veiller sur eux.

 

 

 

 

(Texte de Guy Trendel -- d'après Auguste Stoeber, «Études mythologiques sur les animaux fantômes en Alsace», Revue d'Alsace, 1852 --, illustration de Thierry Christmann, Dragons, fantômes et trésors cachés, Strasbourg, Coprur, 1988).


 |page d'accueil | Dr M. | Mister G. | correspondance |